mercredi 31 août 2011

Le « travail de mémoire » d'un ancien port négrier : La Rochelle

Chairs noires et pierres blanches

Depuis les travaux de Jean-Michel Deveau (cf. notamment La traite rochelaise, Paris, Karthala, 1990), on connaît la part importante que prit le port de La Rochelle dans l'activité négrière. Dès 1594-1595, une expédition en partit, celle du navire L'Espérance (!), à destination du Brésil. Vers le milieu du XVIIe siècle, La Rochelle était le port le plus actif dans ce trafic. 



Nantes domine de très loin le XVIIIe siècle, mais La Rochelle vient en seconde position, supplantant (de peu) Bordeaux et Le Havre. Nombre de Rochelais possèdaient du reste des « habitations » outre-mer, particulièrement à Saint-Domingue.  À La Rochelle-même, à Rochefort et dans la région, vivaient des dizaines de Noirs esclaves, transportés directement d'Afrique dans le cadre du « commerce triangulaire », ou amenés des colonies par leur maître ou maîtresse.
 À la suite du mouvement mémoriel qui s’est traduit par la « loi Taubira » de 2001, la création du Comité pour la mémoire de l’esclavage et l’instauration de la Journée de commémoration du 10 mai, la Ville de La Rochelle a demandé à l’Université de mettre en place un programme de manifestations scientifiques et culturelles autour du phénomène de la traite négrière et de son corollaire, l’esclavage. Si la cité a été l’une des premières – on l’oublie trop souvent – à faire ce « travail de mémoire » (création en 1979 du musée du Nouveau Monde), elle voulait marquer les esprits par des opérations d’envergure. Il s’agissait de sensibiliser le grand public et de répondre aux attentes de plusieurs associations qui nourrissent le débat citoyen autour d’une période douloureuse de l’histoire rochelaise.

 Initié en 2010 sous le titre générique de « Chairs noires et pierres blanches » (les pierres des hôtels des armateurs et négociants enrichis par ce trafic), et poursuivi depuis, ce programme est conduit par l'association ARCADD (Association rochelaise de coopération, d'animation et de diffusion documentaire) qui regroupe Université, services d'archives, musées, bibliothèques, Centre des monuments nationaux et direction des Affaires culturelles de la Ville de La Rochelle. Rochefort est également associé, grâce à la participation du Service historique de la Défense. Cette démarche a non seulement permis de fédérer les initiatives, mais aussi de mutualiser un certain nombre de moyens et de donner une cohérence à l’ensemble des manifestations. Celles-ci reposent d’ailleurs sur les derniers acquis de la recherche (inventaire des sources, mémoires d’étudiants, publications), des investigations qui assoient ainsi cette réflexion collective sur des bases scientifiques solides.
 Après le colloque inaugural « Rencontres Mémoires de l'esclavage » organisé en mars 2010 par Mickaël Augeron, maître de conférences à l'université de La Rochelle, et Olivier Caudron, directeur de la Bibliothèque universitaire, se sont succédés expositions et conférences, mais aussi  mise en ligne de documents, parcours historico-litéraire à travers la ville, projections de films (certains réalisés par des étudiants), spectacle théâtral, lectures de textes...
            Deux catalogues d'expositions ont été publiés : 
  • Etre Noir en France au XVIIIe siècle, exposition présentée au musée du Nouveau Monde de La Rochelle en 2010 (conservatrice en chef Annick Notter), commissaire scientifique Erick Noël, avec un texte d'Olivier Caudron sur « Les Noirs à La Rochelle au XVIIIe siècle » 
  • Un commerce pour gens ordinaires ? La Rochelle et la traite négrière au XVIIIe siècle, exposition présentée aux Archives départementales de la Charente-Maritime en 2010 (directeur Benoît Jullien)
Un livre collectif (35 contributeurs, 39 textes), richement illustré, La Rochelle, l'Aunis et la Saintonge face à l'esclavage, doit paraître fin 2011 aux éditions Les Indes savantes, sous la direction de Mickaël Augeron et Olivier Caudron.
 La Ville de La Rochelle achève l'élaboration de la plaquette « Mémoires rochelaises du commerce triangulaire », qui présente un parcours à travers la cité.
 Une exposition itinérante intitulée « Chairs noires et pierres blanches : La Rochelle et Rochefort, ports négriers », composée de 24 panneaux auto-portés, a été réalisée au printemps 2011 par l'association ARCADD. Elle peut être empruntée auprès des Archives départementales de la Charente-Maritime. Un dossier pédagogique doit être réalisé pour 2012.
 Cet ensemble d'activités a valu à l'université, au Département de la Charente-Maritime et à la Ville de La Rochelle d'accueillir en avril 2011 le colloque international « Les patrimoines de la traite négrière et de l'esclavage » organisé par le ministère de la Culture.

Olivier CAUDRON
Directeur de la Bibliothèque universitaire de La Rochelle
Pour tous renseignements complémentaires : ocaudron@univ-lr.fr
             

Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2011/08/le-travail-de-memoire-dun-ancien-port.html

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire