mardi 3 mars 2020

Mireille Maroger : la jeune avocate qui dénonce le bagne

Journée internationale des droits des femmes

Moins de 1% des ouvrages des collections anciennes de Manioc ont été écrits par des femmes. C'est pourquoi, tous les ans à cette période, Manioc se penche sur une de ces écrivaines qui constituent des exceptions de leur temps... Cette année Manioc parcourt la courte vie de Mireille Maroger, avocate et journaliste, auteure de l'ouvrage Bagne.


Mireille Maroger
Paris Soir, 1er novembre 1935

L'avocate visite les univers carcéraux en voyage de noces

Mireille Maroger est née en 1905 à Madagascar. Elle fait de brillantes études et devient avocate à la Cour d'appel de Paris, profession qui quelques décennies plus tôt était encore interdite aux femmes. Ces dernières n'ont en effet pu exercer qu'à partir de la loi dite Viviani, votée le 1er juillet 1899. Mireille Maroger fut qui plus est secrétaire de la Conférence des avocats "distinction rare pour une femme" soulignait le journal L'Œuvre [1] dans sa chronique nécrologique.
Elle semblait ne rien s'interdire, y compris dans ses loisirs. Outre les articles concernant diverses affaires qu'elle a plaidées, on retrouve également quelques articles qui mentionnent sa participation a des courses automobiles féminines, peu fréquentes alors...
En 1935, elle part avec son mari, Philippe Fougerolle, en voyage de noces en Amérique et dans la Caraïbe. D'aucuns diront qu'il s'agit d'un voyage atypique puisqu'elle associe à la villégiature son intérêt pour les univers carcéraux. Après avoir vu au cours de ce voyage différents systèmes, inspirée par ses lectures (Albert Londres notamment) et ses rencontres inopinées à bord d'un navire, elle entreprend de visiter les bagnes de Guyane.


L'avocate s'improvise journaliste et se retrouve accusée

Face aux multiples obstacles et leurres organisés par l'Etat et l'administration locale du pénitencier pour masquer les défaillances d'un système inhumain et très éloigné de la justice que la jeune avocate imagine, elle décide de mener l'enquête. Elle parviendra à publier une série d'articles dénonçant le bagne dans le quotidien Le Journal [2]. Rappelons qu'avant 1945, les articles rédigés par des femmes sont encore très rares, "Le journalisme au féminin avant 1945, pour ne rien dire du reportage, est une terra incognita, même si quelques noms ont bravé l’oubli" nous rappelle Eric Dussert [3].
125 surveillants (ou 118 selon les sources) l'assignent en justice pour diffamation. Après des rebondissements dont la presse se fait écho, une loi d'amnistie empêche finalement le procès. Si l'on en croit l'avocate, elle aurait souhaité que ce procès ait lieu pour exposer en détail ses preuves et très probablement en faire un procès retentissant contre le bagne.


L'ouvrage Bagne, lecture critique

Faute d'avoir pu témoigner en détail, elle se lance dans la rédaction d'un récit fort différent du style journalistique et plus proche, dans sa forme littéraire, du récit de voyage : Bagne [4].  L'ouvrage, disponible sur Manioc, est préfacé par Jean-Charles Channel et Louis Rousseau et publié en 1937 aux éditions Denoël.
Si son ouvrage dénonce avec force le bagne, ses perversions, injustices et la condition misérable des bagnards, il n'en demeure pas moins qu'on peut, à certains égards percevoir l'imprégnation du contexte colonial dans l'écriture de l'auteure. Sa vision en effet défend surtout les bagnards issus de la métropole coloniale et les passages qui décrivent les "arabes" qui se trouvent majoritairement occuper la fonction de "porte-clefs" -fonction qui illustre justement pour l'auteure la perversité du système- peuvent conduire à des amalgames. A ce propos, pour cultiver les questionnements et la distance critique nécessaire, Manioc vous invite à lire l'article de Marine Coquet [5] sur les bagnards "arabes" et porte-clefs en Guyane.


Une fin tragique

Alors qu'elle était en vacances au Maroc avec son mari et sa sœur, Mireille Maroger perd la vie à 29 ans dans un accident d'avion.


Références citées

[1] L'Œuvre, 23/10/1937, p. 5
[2] Le Journal 23, 24, 25, 26, 27 et 29 juin 1935.
[3] "Femmes reporters dans la lumière", Eric Dussert, Le Monde diplomatique, sept. 2017.
[4] Bagne, Mireille Maroger (préf. Jean-Charles Channel et Louis Rousseau), Paris, Denoël, 1937. Provenance : Collectivité territoriale de Guyane. Bibliothèque Alexandre-Franconie.
[5] "Bagnards, « arabes » et porte-clefs en Guyane : Naissance et usages d’un rôle pénal et colonial (1869-1938)", Marine Coquet, L’Année du Maghreb, 20, 2019.
Illustration : Paris Soir, 1er novembre 1935.


Sur le blog Manioc, lire aussi...

 Articles du blog Manioc publiés à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes :

Articles du blog Manioc en relation avec le bagne :


AP





Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2020/03/mireille-maroger-la-jeune-avocate-qui.html

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