Le blog Manioc vous invite à découvrir l’œuvre romanesque de Marie-George Thébia intitulée La vie Bidim d’Ambrosia Nelson
Il est des
livres qui savent vous tenir en haleine, jusqu’à vous couper le souffle. Il en
est d’autres, qui sont capables avec moins de violence, de vous briser en mille
morceaux épars. La vie Bidim d’Ambrosia Nelson, publié chez l’Harmattan, par
l’historienne guyanaise Marie George Thébia, est de ces livres qui renvoient à
ce que l’on peut considérer comme une littérature du métissage et de la
diversité. Il a été traité dans ce roman, les thématiques qui renvoient à une
dynamique de multiculturalité. Il est aussi question de rencontre, d’amour, de
voyage, de viol et toutes les vicissitudes de la condition humaine.
Rencontres,
voyages et personnages
Il est
évident que la notion de rencontre et de voyage, sont des thématiques
récurrentes de la littérature, de surcroît caribéenne. Cette littérature vouée
à la poétique de la relation (Glissant). D’où la nécessité de porter un regard
sur l’importance de ces deux notions dans ce livre de Marie George THEBIA. Les
personnages dans cette œuvre, sont nomades. Il est tantôt question de l’Antillais,
métisse ou nègre (Maurice, Jacques) et tantôt des Arabes (Zorah et ses amis.es).
Le personnage central lui-même, Ambrosia Nelson, est le fruit d’un amour
métissé. D’une mère guyanaise (Philomène) et d’un père d’origine sainte-lucienne
(Erasme), Ambrosia est née chabine.

Une chabine à la peau mate de la Guyane. Au
cours du récit, elle dut prendre un bateau pour se rendre en France, pour un
avenir meilleur. En plein voyage, elle
fait la rencontre de différents personnages, qui vont suivre le cours de
l’histoire. Surtout, Annie jeune négresse obsédée d’hommes blancs et mulâtres,
qui se prenait pour Joséphine Baker et Jacques le mulâtre antillais, le premier
qui a fait battre son cœur. C’est un roman plein de passions et de
rencontres. Il y a aussi, beaucoup de
mouvements et de déplacements à l’intérieur même de la France. Les personnages
n’habitent pas un espace figé, ils bougent (Paris, la campagne, le sud de la
France). Zorah s’est même rendue en Algérie, pour participer à la guerre de
l’indépendance.
Arrivée à
Paris, Ambrosia rencontre des Français, des Antillais et surtout des Arabes. C’était devenu un vrai cocktail de plusieurs
cultures, qui renvoie à cette notion chère au penseur martiniquais Edouard
Glissant, le concept du "tout monde’’.
Au cours de ces différentes rencontres, une multitude de langues sont
parlées : des phrases en anglais tirées de chansons de certains artistes
des Etats-Unis cités dans le récit, le créole guyanais d’Annie et du personnage
principal Ambrosia, qui ne cesse de citer ce précepte « Fanm Regina ka
fann tchou lavi » qui est devenu le leitmotiv de toute vie Bidim.

Il y a
aussi de l’autre côté, le créole antillais. Celui de Maurice et de ses
amis. "Ay fout i bel chabine an m !". À
côté du français, la langue de la narration, il y a aussi des expressions
arabes ("Inchallah") utilisées par Zorah et d’autres ouvriers Arabes qu’Ambrosia
a rencontrés au cours de son passage à l’usine. Sans oublier Madame de Laguery,
bourgeoise et patronne de maison, qui voyage beaucoup. Des voyages réels et
imaginaires en vue d’étreindre le monde. Ce texte renvoie à une panoplie
d’autres textes, dans sa démarche esthétique, ses citations (de l’œuvre d’Alexandre
Dumas au film de Jean-Luc Godart « A bout de souffle ») et le titre
même du livre La vie Bidim d'Ambosia Nelson peut nous
renvoyer à ce concept global de transtexualité chez Gérard Genette.
De la
nostalgie et de l’improbable retour au pays natal
De Césaire (Cahier d’un retour au pays natal),
jusqu’à Dany Laferrière (L’énigme du
retour), il est toujours difficile de retourner chez soi. Ces écrivains (René
Depestre, Maryse Condé, Jean-Marie Le Clézio, Dany Laferrière, Émile Olivier) ou les personnages
de leurs livres sont perpétuellement confrontés à cette problématique du voyage
et du retour. Bien qu’ils se disent contents ou citoyens de tous les pays du
monde, il y a toujours cette nostalgie d’un chez soi. Le personnage Ambrosia,
adore participer à des activités où résonnent la danse et les cultures créoles.

Elle garde toujours l’éventail (walwari) qui lui a été offert par son père.
Cependant, Ambrosia est dans l’impossible retour dans sa terre natale. Chose
qu’elle a faite à la fin de l’histoire, encouragée par Mathieu, son dernier
mari d’origine portugaise. Au fond même de la construction du récit, il y a
d’autres histoires enchâssées, telles que celle de Zorah et de sa petite
amoureuse Pascale, qui sont parties en Algérie, et qui y sont revenues bredouilles.
Pascale a fui ses parents au sud de la France, pour y retourner dans un
cercueil.
Amour, haine, désillusion : le fameux regard de l’autre
Dans ce
roman de Marie George Thébia, il n’a jamais été question d’ipséité, c’est une
histoire de rencontre, de croisement et du regard de l’autre. En matière d’altérité,
il est autant présent dans ce livre, la figure de la haine que celle de
l’amour. C’est aussi le roman de tous les malheurs. La mort rode partout.
Ambrosia a dû subir toute la misère et les vicissitudes de l’humaine
condition : la haine, l’humiliation, le viol, l’avortement, la violence
physique de Maurice, son bourreau de mari antillais, et la trahison de Jacques.
Autant d’adjuvants que d’opposants. Il y a aussi le regard méprisant, de tous
ceux et celles qui l’ont prise pour une Arabe. À cause de sa couleur de peau, elle
était l’étrangère, l’exotique. Il y a encore dans ce roman, le regard
foudroyant sur l’homosexualité.
Les amours impossibles, une sorte
d’insoutenable légèreté. Cependant, de l’autre côté du mur, il y a aussi
l’amour. Un amour démesuré, celui de Pierre à l’endroit de sa mère Ambrosia et
celui de Ginette, Beaudouin, Marcel, Yvette, Suzon, Zorah, et tout le cercle
d’amis qui ont aidé Ambrosia à lutter contre les aléas de la vie. L’auteure de
‘’Mon nom est Copena’’ met en exergue dans ce livre, le regard amer jeté sur l’Arabe
qui réclame l’indépendance de l’Algérie. Des personnages comme Pierre, le fils
d’Ambrosia, a été sujet de moquerie à son école à cause de ses cheveux en
boucles. Pour ce qui est du regard de l’autre, c’est la pierre d’achoppement de
toute l’histoire. La peur de côtoyer une femme qui n’est pas de son rang,
l’éternelle difficulté de rester paisiblement à sa place dans la société. Le désir de braver l’interdit, le mari (Rougon
Macquet) qui viole ses bonnes, au su et à l’indifférence de sa femme bourgeoise
de la bonne société. Au-delà de tous ces regards, les personnages sont en proie
à une terrible désillusion.e sentir trahis, trompés. Le peuple qui croit au changement,
aux nouvelles gouvernances. Zorah qui croyait pouvoir changer le monde et le
regard des autres, chassée de son Algérie natale après l’indépendance. Ambrosia
qui a la peur d’aimer après avoir été trahie par Maurice et Jacques. Il est
question à chaque instant d’amour déçu et d’illusion perdue.
Au final, la
vie Bidim d’Ambrosia Nelson, décrit la réalité même de l’espace multiculturel.
L’obligation d’accepter l’autre et de vivre avec, malgré les différences. C’est
le roman de l’Antillais, l’Arabe, du Guyanais, du Français et de toutes les
cultures qui se brassent.
JJJJR
Pour accompagner cette découverte, nous vous proposons de visionner les conférences suivantes :
Marie-George Thébia, Carnaval et littérature : une traversée du temps
http://www.manioc.org/fichiers/V14176
Ernest Pépin, La littérature antillo-guyanaise et le défi de l'exotisme
http://www.manioc.org/fichiers/V11087
Lise Gauvin, De la notion de littérature nationale à celle du Tout-Monde chez Glissant
http://www.manioc.org/fichiers/V19119