mercredi 31 octobre 2018

Le Brésil, si proche, si loin...

Du Contesté à la contestation...

A la suite des élections au Brésil, regard sur notre frontière commune

Ça n'est pas tous les jours que l'histoire de nos départements d'outre-mer s'invite dans les inquiétudes géopolitiques du moment. Mais comment, depuis ce dimanche 29 octobre, face au large plébiscite qui a propulsé à la tête de l'Etat brésilien un Jair Bolsonaro aux ambitions aussi rétrogrades qu'intolérables, comment ne pas songer à la proximité géographique et culturelle qui unit, à travers la Guyane, la France et le Brésil ?

La liste est longue des minorités auxquelles ce militaire en retraite nostalgique de la dictature promet un sort expéditif et sanglant. Prévenant, il a même théorisé sa position sur la question bien avant d’être élu, afin que nul n'en ignore :  "Les minorités doivent s’intégrer ou tout simplement disparaître devant les majorités ! La loi doit exister pour défendre les majorités."



Femmes, défenseurs de l'environnement, Amérindiens, paysans sans terre, Afro-descendants, LGBT, gauchistes de toutes obédiences, sans oublier la presse... Suspendus à des lendemains aussi angoissants, il n'est pas interdit de penser que certains de ses parias désignés aussi violemment se poseront très prochainement la question de l'exil avec, peut-être, en perspective, symbole de terre d'accueil, la frontière de cette France tropicale si proche. A la faveur de cette actualité peu réjouissante, il y a quelque intérêt à rappeler ce que cette frontière entre les deux Etats - la plus longue que la France entretienne avec un autre pays : 730 km de longueur- doit à un épisode peu ou mal connu de notre histoire.

C'est en 1900, au terme d'une bataille de territoire de plusieurs décennies, et grâce aux bons offices de la Suisse, que la question de la délimitation de la frontière entre le Brésil et la Guyane française a été réglée, faisant du fleuve Oyapock le point de démarcation. Cette controverse diplomatique nourrie, qui plonge ses racines dans l'histoire coloniale, porte le nom de Contesté franco-brésilien, chaque puissance revendiquant avec constance, notamment pour des raisons stratégiques d'accès au fleuve Amazone, un découpage du territoire différent de celui acté par le traité d'Utrecht de 1713 (le Brésil, devenu indépendant en 1822, étant alors possession portugaise). Autant que le litige lui-même, le terme "Contesté" désigne donc cette zone de centaines de kilomètres carrés érigée provisoirement, de fait, dans l'attente de l'arbitrage de 1900- qui se révéla finalement plus favorable aux revendications brésiliennes qu'aux françaises-, en territoire neutre, sorte de non man's land fort prisé, dit-on, des bagnards et esclaves en  fuite...

Dans un article très éclairant, la revue Outre-Mer. Revue d'histoire revient en détail sur cette affaire  passionnante. En complément, Manioc vous propose ci-dessous, sur le même sujet, une sélection de documents extraits de ses collections.

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POA

Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2018/10/le-bresil-si-proche-si-loin.html

lundi 29 octobre 2018

Une source en or : les photographies d'identité dans les registres de licences personnelles [1922-1924]

Les visages de ceux et celles qui ont tenté l'aventure aurifère.

Nos lecteurs de longue date s'en souviennent peut-être : en 2014 avait lieu le projet Orkidé. Les différents partenaires avaient recensé et numérisé les archives minières que vous pouvez retrouver sur le site. Aujourd'hui, Manioc revient sur l'une d'elles en particulier : les registres de licences personnelles. Si le nom peut paraître peu attrayant, il s'agit pourtant d'un véritable petit trésor.
Une page du registres de licences personnelles 1921-1922

Manioc propose dans ses collections numérisées deux registres de licences personnelles rédigés dans les années 1920. Ces deux registres conservés étaient tenus par le bureau des douanes de Saint-Laurent-du-Maroni. Ils consignaient les personnes autorisées à travailler dans des concessions d’or de Guyane. Les registres s’organisaient en quelques colonnes renseignant notamment le nom et le prénom du demandeur, souvent un lieu d’origine et un âge, la date de délivrance de la licence et le lieu de l’engagement. Si ces registres sont exceptionnels, c’est parce qu’ils permettent de recenser individuellement une partie des orpailleurs en Guyane.

Des "bricoleurs" venus des quatre coins du monde
À partir des années 1880 et pour près d’un demi-siècle, l’exploitation aurifère est devenue la principale production de la Guyane. Ainsi, alors que la population n’était que de 18 000 habitants en 1876, elle s'élevait à 44 202 personnes en 1921, dont environ 11 000 chercheurs d’or. Les orpailleurs se répartissaient en deux grandes catégories : les « bricoleurs » et les « maraudeurs ». Contrairement aux maraudeurs, les bricoleurs étaient munis de documents officiels les autorisant à effectuer des recherches. Ils étaient titulaires d’une licence personnelle les autorisant à extraire de l’or sur les terres du Domaine. Les deux registres recensent 1 454 personnes ; c’est ainsi environ 13 % des orpailleurs de l’époque que nous pouvons mieux connaître.

La découverte de gisements a attiré des milliers d’immigrants spontanés souvent pauvres et peu instruits. Les deux registres montrent qu’ils venaient parfois de bien loin. Certaines personnes étaient certes nées en Guyane ou dans les territoires alentour (Demara, Berbice...) ; mais d’autres arrivaient des Antilles françaises (Martinique, Guadeloupe, Marie-Galante...) et aussi de toute la Caraïbe (la Dominique, Sainte-Lucie, la Grenade, Trinidad...). Parfois même, l’immigration de Cochinchine laisse apparaître un ressortissant plus lointain tel qu’Ho-a-Pian né à Canton et âgé de 56 ans.

Environ 1400 portraits d’orpailleurs
Surtout, les registres consignent des photos d’identité. Quelque 1400 portraits d’hommes et de femmes ont été extraits du registre avec leurs noms. Rares sont ceux qui ont fait fortune. En effet, les bricoleurs travaillaient sur des concessions dont ils n’étaient pas les propriétaires. Ils s’engageaient à verser un pourcentage de leur production d’or au concessionnaire à titre de location, mais souvent ce procédé fut abandonné ou doublé d’un autre système qui obligeait les bricoleurs à acheter leurs vivres et leurs outils dans le magasin d’approvisionnement du concessionnaire. Les achats devaient être réglés en or et pouvaient même être passés à crédit sur la production espérée. L’essentiel des bénéfices allait ainsi au concessionnaire et les bricoleurs risquaient vite l’endettement.

Quelques photographies ont été détériorées par les affres du temps et ne sont plus visibles, mais pour de nombreuses autres, on peut découvrir le visage de ceux et celles qui, parfois poussés par la fièvre de l’or, parfois faute de mieux, venaient travailler le long du fleuve.



Ho-a-Pian
Ponchateau Julie M. J.
Paper Wesillia Willie
Moe Vernon


Rétroblog
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Images : les photos d'identités tirées des registres

Aller plus loin

  • Mam-Lam-Fouck (Serge), La Guyane française : au temps de l'esclavage, de l'or et de la francisation (1802-1946), 1999.

JP


Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2018/10/une-source-en-or-les-photographies.html

mercredi 24 octobre 2018

Manioc fête l'Open access week !

22-28 octobre 2018


Cette année a lieu la onzième édition de la semaine internationale du libre accès, et c'est l'occasion de valoriser le rôle joué par la bibliothèque numérique Manioc dans la diffusion du savoir.

Depuis 2007, chaque année se tient la semaine internationale du libre accès, pendant laquelle ont lieu de nombreux événements et conférences afin de promouvoir le mouvement du libre accès à l'information scientifique. Cette année, elle a pour thématique “designing equitable foundations for open knowledge”, soit la conception de bases équitables pour un savoir ouvert. Il s'agit donc d'apporter une réflexion sur la diffusion réelle des données en libre accès, afin que l'open data ne reste pas au stade de projet ou de volonté, mais soit véritablement mis en application.

C'est l'occasion de rappeler que les bibliothèques constituent un acteur majeur de cette diffusion des savoirs pour tous, puisqu'elles rendent accessible sans distinction, et ce gratuitement, la consultation des ouvrages qu'elles possèdent. Avec les bibliothèques numériques, comme Manioc, un nouveau pas est franchi, puisque les documents deviennent accessibles à tous, toujours gratuitement, mais aussi depuis partout dans le monde. Avec Manioc, ce sont au total 2287 livres anciens, 15 063 images, 2504 audio-vidéos, mais aussi des revues et des portails thématiques qui sont accessibles librement. Et la base de données continue à grandir et à s'étoffer !


Pour aller plus loin


M.G.


Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2018/10/manioc-fete-lopen-access-week.html

mercredi 10 octobre 2018

Cuba et la Guerre de 10 ans [1868-1878] : la première indépendance ?

La "guerra de los diez años", dix ans d’insurrections anticoloniales et antiesclavagistes.


Il y a 150 ans jour pour jour, un épisode majeur de l’histoire cubaine débutait : le 10 octobre 1868, Carlos Manuel de Céspedes, riche propriétaire terrien, libérait et armait ses esclaves en les invitant à combattre à ses côtés ; il marquait ainsi le début officiel d’une guerre anticoloniale contre l’Espagne.

10 octobre 1868, le Cri de Yara
Carlos-Manuel Cespedes
source Manioc
Dans la première moitié du XIXe siècle, l’Espagne perdit une importante partie de son empire après la proclamation des républiques aux Amériques latines en 1821 ; elle reporta alors d’autant plus son attention sur Cuba tant pour son intérêt économique que pour nourrir la conscience nationale du pays. Mais sur l’île, le renforcement du pouvoir militaire, l’augmentation fiscale et l’échec de réformes politiques en cours contribuèrent à développer un mouvement anticolonialiste. C’est ainsi que le 10 octobre 1868, Carlos Manuel de Céspedes, propriétaire à Bayamo, ayant suivi des études de droit à Barcelone, réunit ses esclaves sur sa propriété, les affranchit, proclama l’indépendance et la lutte pour "Cuba libre" et prit la tête de l’insurrection. L’indépendance était le point principal du programme, mais Céspedes prônait aussi la suppression de l’esclavage.

Comme d’autres Cubains de la région de Manzanillo, Céspedes appartenait à un groupe qui s’était mué en une loge maçonnique. La rébellion avait ainsi été préparée discrètement et de longue date. Les troupes composées de paysans pauvres et d'esclaves libérés marchèrent victorieusement sur Yara, Jiguaní et Bayamo dans l’est de l’île, dirigées par des propriétaires terriens comme Céspedes ou Francisco Aguilera.

Ce n’est pas étonnant que les hostilités aient démarré dans cette partie de l’île. L’est subissait fortement la crise économique et le durcissement de la politique fiscale. Les esclaves y étaient moins nombreux que dans l’ouest et la population libre de couleur plus importante. Aussi contrairement à l’Ouest cubain, l’esclavage ne constituait pas un pivot aussi central de l’économie et la peur d’une révolte servile à l’image de celle d’Haïti était moins prégnante. 
La révolte s’étendit ensuite à l’ouest, vers Camagüey, menée notamment par deux hommes issus de riches familles de planteurs, Salvador Cisneros Betancourt et Ignacio Agramonte rejoints par Manuel de Quesada. Dans l’ouest de l’île fortement dépendant du travail servile et qui avait connu un bond économique dans la première moitié du XIXe siècle, le mouvement anticolonialiste et abolitionniste fut moins bien accueilli. Le faible soutien des élites terriennes contribua à la radicalisation du mouvement ; les insurgés libérèrent de force les esclaves pillant et incendiant les plantations sur leurs passages. À partir de novembre 1868, la réaction de l’armée espagnole empêcha une plus grande progression du mouvement anticolonialiste.

10 avril 1869, la Constitution de Guáimaro

Les insurgés se constituèrent en comités locaux, le plus important, Bayamo, devint le siège du gouvernement insurrectionnel. La constitution de Guáimaro faisait de Cuba une république indépendante de l’Espagne et elle était basée sur le principe de division des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Céspedes fut élu en avril 1869 président de la République, tandis que Aguilera, Izaguirre, Mendoz et Agramonte devenaient secrétaires d’états (à la Guerre, à l’économie, de l’intérieur, des relations internationales). La constitution prévoyait en outre que ses habitants étaient tous libres. Cette affirmation de l’égalité de tous les hommes s’accompagna de la nomination de Blancs créoles, d’Espagnols et de personnes de couleur libres à des postes municipaux. 

Quelques figures de l'insurrection cubaine

Ignacio Agramonte
Francisco Aguilera
Máximo Gómez
Manuel de Quesada

 Mais très vite, l’hésitation fut de mise au sujet de la libération des esclaves. La crainte que la rébellion anticoloniale se mût en une guerre "raciale" des Noirs contre les Blancs fut présente tant chez l’ennemi espagnol qu’au sein du mouvement insurrectionnel. De fait, pour lutter contre les insurgés, les forces espagnoles agitèrent le spectre de la révolution haïtienne propageant la peur d’une guerre "de race" et invitèrent la population lassée à choisir plutôt la paix sous l’empire espagnol. Ajoutez à cette peur, la faim, les pénuries et les destructions. Au fil du temps, le moral des troupes révolutionnaires s’en ressentit ; les désertions et les redditions d'insurgés se multiplièrent. 


10 février 1878, le pacte de Zanjón
Antonio Maceo.
Nació el14 de julio 1845 -
Murió el 7 de diciembre de 1896
source Manioc
La république perdura 10 ans. Mais la trop grande division des pouvoirs qui entravait son bon fonctionnement, la crainte que la révolution indépendante ne devienne une révolution de couleur, la force tactique du général Campos nommé gouverneur de Cuba par le roi espagnol à partir de 1876 acheva la jeune république. En février 1878, un pacte vint officialiser une paix entre les deux camps, sans indépendance et sans abolition pour les révolutionnaires.

Certains des insurgés refusèrent de reconnaître le traité. Ce fut le cas notamment d’Antonio Maceo, homme de couleur né de petits exploitants libres. Promu général de l’armée de libération cubaine pendant la guerre, Maceo refusa catégoriquement la paix sans abolition dans sa Protesta de Baragua le 15 mars 1878. Il lutta quelques mois encore avant de devoir quitter l’île.

Même si cette première tentative se solda par la défaite des indépendantistes cubains, la guerre de Dix ans ne fut pas sans conséquence politique et elle transforma profondément les relations sociales. Le maintien de l’esclavage fut vécu comme une injustice sociale contre l’autorité espagnole et cela nourrit les désirs indépendantistes. Dans le même temps, l’émancipation de 16000 esclaves qui avaient participé aux insurrections engagea Cuba vers la voie de l’abolition totale et définitive qui intervient dans les faits en 1887.


Livres anciens sur Manioc.org

 Pour aller plus loin
  • Ferer (Ada), La guerre d'indépendance cubaine, Bécherel, Editions Les Perséides, 2010.  

  J.P.


Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2018/10/cuba-et-la-guerre-de-10-ans-1868-1878.html