La question – quelque peu provocatrice – du titre est souvent posée tant par les voisins de la Guyane que par nombre de secteurs de l’opinion française métropolitaine, les uns faisant objection à cette « présence coloniale » en Amérique du Sud, les autres aux coûts des transferts financiers au bénéfice d’un peu plus de 250 000 habitants. Il est vrai que la présence d’un département d’outre-mer français sur ce continent – où il est le dernier territoire non indépendant – est le résultat d’une histoire déjà longue qui a commencé par une conquête engagée dans des conditions géopolitiques difficiles.
Elle a continué avec des conflits plus ou moins sérieux, allant de l’occupation de Cayenne à des incidents épisodiques, voire folkloriques, avec le grand voisin portugais puis brésilien, et connu une série d’échecs des tentatives de colonisation. Après avoir tenté d’exploiter ses forêts et ses terres cultivables, la France a préféré tirer parti de son insalubrité (avec le bagne), puis de sa biodiversité et finalement de la rotation de la terre qui y est plus rapide qu’ailleurs, mais sans jamais réellement arriver à un bilan convaincant en dehors des activités aérospatiales à l’essor desquelles sont liées 16 % du PIB guyanais et l’augmentation récente de l’immigration.
Bien que cette Amazonie française ait des atouts évidents en termes de milieux naturels, elle présente aussi des faiblesses non moins évidentes, démographiques et économiques principalement. Sa gouvernance est compliquée en raison du nombre des acteurs qui se la disputent (préfecture, région, département, centre spatial) et surtout la Guyane doit de plus en plus compter avec des forces qui l’intègrent, bon gré mal gré, au continent, que ce soit par la tension de conflits frontaliers ou par le développement de coopérations transfrontalières dont le pont sur l’Oyapock, qui attend depuis bientôt quatre ans son inauguration, est le symbole le plus visible, et le plus ambigu.
Carte n° 1 : Carte de la Guyane et du Parc amazonien de Guyane
Source : <fr.wikinews.org/wiki/Fichier:Guyane_map-fr.svg>, <www.guyane-guide.com/dossiers/geogra- phie.htm> et <www.parc-amazonien-guyane.fr/le-parc-amazonien-de-guyane/carte-identite/>
Avec une superficie de 83 846 km2, la Guyane est à la fois le plus grand départe- ment français, la plus grande région du pays (plus de 15 % de la surface de la France métropolitaine) et elle compte sa plus grande commune, Maripasoula (18 360 km2). Elle fait partie des neuf régions ultrapériphériques (RUP) de l’Union européenne. C’est le seul territoire continental de l’Union européenne en Amérique du Sud et le seul terri- toire d’Amérique du Sud à ne pas être un État indépendant, contrairement à ses voisins Guyana (ancienne Guyane britannique), Surinam (ancienne Guyane néerlandaise). Elle constitue le plateau des Guyanes avec eux, avec une partie du Venezuela, délimitée par le fleuve Orénoque, et avec le Nord du Brésil, délimité par l’Amazone.
UNE CONQUÊTE LABORIEUSE
En 1494, deux ans après le premier voyage de Christophe Colomb, Espagnols et Portugais s’étaient partagé le Nouveau Monde par le Traité de Tordesillas. Les autres nations européennes contestèrent ce partage qui excluait notamment la France, au nom de qui François Ier en avait contesté la légitimité : « Je voudrais bien voir la clause du testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde ». Après diverses tentatives d’implantation de têtes de pont françaises, anglaises et hollandaises sur des terres plus riches (côte du Brésil et bas Amazone notamment), toutes repoussées, les trois pays durent se contenter d’occuper chacun un fragment du plateau des Guyanes, dans un angle mort négligé par les colonisateurs ibériques, des lots de consolation bien moins rentables que les « îles à sucre » qu’ils parvinrent à conquérir aux Antilles. Même cette modeste présence fut contestée et, dans le cas de la Guyane, des conflits l’opposèrent à l’Empire portugais puis, après 1822, au Brésil indépendant.
CONFLITS FRANCO-BRÉSILIENS
Jusqu’à aujourd’hui les artilleurs de la batterie Caiena du 32e groupe d’artillerie/ Groupe D. Pedro I ont sur la manche droite de leurs uniformes traditionnels, datant de la période de l’Empire, un ruban portant le nom de la batterie, pour commémorer le fait que les troupes portugaises, sur ordre du roi João VI, avaient attaqué, conquis et occupé l’île de Cayenne2.
Quand le Portugal, lors des guerres napoléoniennes, avait été envahi par l’armée française, commandée par Jean-Andoche Junot, la famille royale s’était enfuie au Brésil, à l’époque sa principale colonie. Le 10 juin 1808, João VI déclara la guerre à la France et ordonna immédiatement l’occupation de la Guyane française. Un corps expéditionnaire de 470 soldats brésiliens l’envahit alors, avec le soutien d’une escadre de la Marine britannique. Le 14 janvier 1809, la ville de Cayenne fut attaquée, le gouverneur français se rendit, et le Portugal occupa la Guyane française jusqu’en 18173.
Carte n° 2 : Le contesté
franco-brésilien