lundi 28 octobre 2019

Les plantes tinctoriales

Les plantes tinctoriales dans la Caraïbe : peut-être un nouvel essor à l'heure du développement durable ?


L'art de la teinture est ancien et universel. Les plantes et les animaux ont de tout temps été utilisés pour teindre les tissus et les fibres. 
La plante la plus connue des Antilles est l'indigo puisqu'elle a été cultivée et transformée dans les indigoteries des habitations mais d'autres plantes ont été utilisées pour teindre. 

Méthodes de teinture

Les méthodes de teinture ont été mises au point, à diverses époques par les teinturier.e.s de différents continents pour extraire du mieux possible les colorants des plantes et de quelques animaux disponibles dans leur environnement et pour les fixer sur une grande variété de supports, principalement textiles. Ces différentes recettes ont la particularité de se ressembler de façon étonnante. La teinture est une activité très empirique qui exigeait des dons d'observation pour repérer les substances qui permettent de teindre : il suffit de tester pour voir si la couleur apparaît ou non, reste ou ne reste pas sur la fibre ou le tissu.
Néanmoins, la teinture est un procédé chimique assez complexe et mystérieux. Les colorants sont constitués de nombreuses molécules dont beaucoup ne sont pas connues. Et ces molécules colorantes n'ont pas toujours une "affinité chimique" avec les fibres textiles et il faut employer d'autres substances (appelées mordants ou adjuvants) pour les fixer. Leurs rôles, c'est-à-dire les réactions avec les colorants et les fibres, ne sont pas encore complètement élucidés.

Les plantes tinctoriales

Les teinturiers florentins du XVe siècle disaient pour plaisanter "qu'ogni erbaccia fa tinta",  que la première mauvaise herbe venue teint. En effet, les flavonoïdes ou les tanins dotés de pouvoir colorant sont présents dans de nombreuses plantes et arbres et permettent d'obtenir des jaunes ou des beiges, des gris et des bruns. Cependant, depuis très longtemps, les teinturiers ne s'en sont pas contentés et ont toujours sélectionné un nombre plus restreint de plantes qui présentent différentes qualités : beauté, vivacité, intensité et solidité. 

Dominique Cardon, historienne française, spécialiste de l'histoire des techniques textiles et de la teinture, remarque que les teinturier.e.s ont souvent sélectionné des familles de plantes particulièrement riches en certains colorants : pour les rouges vifs, ils ont utilisé de préférence les racines de certaines herbes, lianes ou arbres. Il s'avère que toutes ces plantes sont aujourd'hui classées par les botanistes dans la même famille (les Rubiacées) et les chimistes ont découvert chez elles une combinaison de colorants du même groupe (celui des anthraquinones).

La découverte des plantes donnant la couleur bleue est encore plus étonnante : l'indigo (voir partie ci-dessous), qui produit ce bleu unique (le bleu du pastel étant plus pâle), n'existe pas sans transformation. Son extraction est assez compliquée. Cette teinture est utilisée depuis les âges préhistoriques par des civilisations très éloignées les unes des autres géographiquement.


Les teinturiers, pour renforcer la couleur et la solidité des teintures, ont également essayé puis adopté l'usage de diverses substances minérales (cristaux, boues, oxydes métalliques) ou organiques (urine, excréments, sang, graisses animales et végétales, jus et décoctions de plantes). Ces substances sont appelées mordants et servent au mordançage.

L'indigo 

L'indigo est obtenu à partir de l'indigotier. Cet arbrisseau a plusieurs centaines de variétés dans différentes régions tropicales. Il a été utilisé dès l'Antiquité sur plusieurs continents pour teindre des textiles. En Europe durant le Moyen-Age, le bleu est obtenu à partir de la guède ou pastel (Isatis tinctoria) mais, au XVIIe et XVIIIe siècle, la teinture d'indigotier, plus rentable, va remplacer celle obtenue à partir du pastel. La culture d'indigotiers est l'une des premières cultures à avoir été introduite par les colons européens dans le "Nouveau Monde". Cette industrie était destinée aux ateliers de teinturiers d'Europe. Elle va se développer dans l'ensemble de la Caraïbe au XVIIe et XVIIIe siècle et jouer un rôle économique non négligeable. Il est encore possible de voir des vestiges d'indigoterie, entourés des plants d'indigotiers. Les deux espèces d'indigo des Antilles sont l'indigo anil (Indigofera suffruticosa Mill.) et l'indigo franc (Indigofera tinctoria L.). 


Autres plantes tinctoriales

Aux Antilles, d'autres plantes permettent de teindre les tissus, le corps ou les objets domestiques. En voici quelques unes : 
- le Campêche ou Bois de Campêche (Haematoxylum campechianum) est un petit arbre tropical de la famille des Fabacés dont l'écorce donne du violet lorsqu'il est mélangé à de l'alun ou du noir profond. D'ailleurs, à partir du XVIIe siècle, le campêche connut un essor économique très important avec la découverte de la technique d'un noir solide et la "marée noire" vestimentaire (Réforme, puritanisme, pouvoir de la bourgeoisie : tout le monde s'habille en noir).
- le Noni ou nono ou pomme-chien (Morinda citrifolia) : le bois de cet arbre donnant des fruits d'une odeur assez nauséabonde, de la famille des Rubiacée donne une couleur jaune orangé. D'autres parties de l'arbre fournit du rouge.

- le roucou (photo ci-contre) ou rocou (Bixa orellana) : les graines du rocouyer étaient utilisées par les populations amérindiennes pour se protéger des piqûres d'insectes et contre le soleil mais également comme parure pour le corps (certainement à l'origine du terme "indiens Peaux-Rouges") et comme protection magique. Le rocouyer est une plante sacrée pour de nombreux peuples d'Amazonie. Il est appelé arbre à rouge à lèvres aux Antilles. Le roucou était déjà utilisé comme colorant alimentaire et agent de texture dans les recettes précolombiennes de boisson au chocolat. De nos jours, il est utilisé en grandes quantités pour colorer en jaune les matières grasses, comme les huiles, le beurre, les margarines... sous le nom E160.
- le curcuma (Curcuma longa) donne une teinture très puissante et colore directement en jaune d'or quasiment n'importe quelle matière. 
- le génipa (Genipa americana) de la famille des Rubiacée : l'écorce (ou le jus du fruit) servait aux Indiens à mettre des couleurs noires sur le corps lorsqu'ils partaient se battre. 
- le pernambouc (Caesalpinia echinata) ou bois rouge. Egalement appelé brezil, brésil, pau-brasil, il a donné son nom au Brésil. Un état du Brésil porte également le nom Pernambouc.
- la bignone écarlate (Arrabidea chica) utilisée en Guyane et par les Arawaks. Selon la façon dont les feuilles sont travaillées, elles servent à la préparation d'un fard rouge carmin brillant pour dessiner de fines peintures faciales ou pour décorer des poteries.
- Licania macrophylla, appelée en créole gris-gris rouge, dont l'écorce était utilisée pour les cordes d'arc ou les voiles de bateau.
- Simira tinctoria, autre Rubiacée : l'écorce et les feuilles sont écrasées dans l'eau froide. Au bout d'une heure ou deux, le liquide devient rose foncé et peut être utilisé pour teindre des vêtements en les trempant dedans. 

Les perspectives de développement


À l'heure du développement durable, de l'utilisation de produits naturels et des DIY (Do It Yourself), les plantes peuvent fournir des pistes intéressantes.
En 2014, a eu lieu le 8e colloque international des plantes aromatiques et médicinales (CIPAM 8) en Guadeloupe autour de la thématique "Innovations et traditions au cœur de la biodiversité des Caraïbes". Une journée a été consacrée aux plantes tinctoriales et fibres naturelles. Avec des conférences de Dominique Cardon (Histoire des plantes tinctoriales : place de la Guadeloupe), Tristan Yvon (Histoire des indigoteries de Marie-Galante) et Yves Pelissier (Fibres naturelles de Guadeloupe : perspectives d'exploitation) et Patrick Brénac (Contraintes liées à la qualité des matières premières tinctoriales). 

La reprise de la culture de plantes tinctoriales pourrait être une perspective innovante d'avenir. Il existe des sites sur lesquelles il est possible de commander des teintures pour les tissus mais aussi pour les cheveux. 

Ressources et références 

Livres anciens sur Manioc.org 

Pour aller plus loin

A.F.




Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2019/10/les-plantes-tinctoriales.html

samedi 12 octobre 2019

« Docteur Morestin, je présume ?». Suite et fin

Hippolyte Morestin, un grand chirurgien martiniquais méconnu de la guerre 14-18. 2ème et dernier épisode.

H. Morestin opérant le visage d'un patient (s.d, Source : AP-HP*)

Après avoir décrit dans un premier billet les origines familiales, sociales ainsi que le parcours scolaire et universitaire de ce natif de Basse-Pointe, Manioc retrace à présent l'itinéraire professionnel singulier du docteur H. Morestin, dans le contexte de la Première guerre mondiale, au contact des douloureusement célèbres "Gueules cassées" auxquelles cet as de la chirurgie réparatrice, mort prématurément en 1919 - à 50 ans- ne survécut guère.


 Le Dr Morestin dans la tourmente de la Grande Guerre

 

Début août 1914, la France et l'Allemagne entrent en guerre. Le conflit européen devient mondial et s'est enlisé à l'image des centaines de milliers de soldats dans les tranchées. Il se produit alors un phénomène aussi dramatique qu'imprévu : les balles des pistolets, fusils et mitrailleuses, les grenades et les obus causent en quelques mois un nombre jamais vu auparavant de graves blessures au crâne, à la mâchoire et au visage. En France, ce seront plus de 12 000 mutilés de la face auxquels le médecin aide-major de 2ème classe H. Morestin et bien d'autres médecins, dentistes et infirmières vont consacrer leurs efforts à soigner.

H. Morestin exerce à l’hôpital Saint-Louis, à l’hôpital de la fondation Rothschild et surtout à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, dans la Vème division des blessés de la face où beaucoup de ses patients lui voueront un véritable culte. Le 15 décembre 1917, ces derniers font paraître La Greffe générale : organe des blessés de la face dont la devise est Rire quand même ! En haut de la première page est marqué : « A celui dont la science et le dévouement nous ont rendu l’espoir, nous dédions respectueusement ce numéro, première manifestation de notre gaité retrouvée. »  Le numéro 2 du 15 janvier 1918 est dédié « Aux dignes collaborateurs de Monsieur le Professeur Morestin ».  Son supérieur hiérarchique au Val-de-Grâce, le médecin principal de 1ère classe Delamare, chargé de ses appréciations, écrit le 1er décembre 1917 : « chirurgien de la plus haute valeur, a pratiqué un nombre considérable de restaurations de la face avec un succès remarquable. D’une réputation mondiale méritée, est toujours digne des plus grands éloges. »

Il est fait chevalier de la Légion d’honneur le 27 avril 1915 et officier le 30 décembre 1918. Se donnant sans compter à améliorer l’état des soldats défigurés, promoteur des autoplasties en jeu de patience et passé maître dans l’art des greffes adipeuses, cartilagineuses et osseuses, son travail de reconstruction des visages fait l’admiration de la communauté médicale. Il présente à plusieurs reprises le résultat de ses travaux à l’Académie de médecine où il est ovationné. La presse parisienne de l’époque est dithyrambique et le fait connaître du grand public : « prodiges de restauration faciale et crânienne », « sculpteur de chair humaine », « bienfaits et miracles de la chirurgie réparatrice », « merveilleuses restaurations de la face », peut-on lire dans différents journaux.  Sa réputation ne cesse de croître, y compris en Espagne, au Royaume –Uni et aux Etats-Unis.  



 La Greffe Générale : organe des blessés de la face, n°1, déc. 1917. Bib. de l'Académie de Médecine de Paris
Agrandissement d'une partie du même document [hommage à Morestin]
Ainsi ceux qu’on appellera à partir de 1921 les « gueules cassées » vont contribuer bien malgré eux à faire progresser la chirurgie réparatrice et reconstructrice du visage dans laquelle H. Morestin jouera un rôle majeur. Mais si la chirurgie esthétique moderne doit beaucoup à nombre de ses techniques et modes opératoires, Hippolyte Morestin sera, lui, pratiquement oublié. Emporté le 12 février 1919 par la grippe espagnole trois mois après l’Armistice à l’âge de 49 ans, il laisse une œuvre médicale immense mais inachevée que bien de ses confrères de France et du monde entier reprendront et poursuivront.

En outre, trois de ses patients du Val-de-Grâce, le colonel Emile Picot (1862-1938), Bienaimé Jourdain (1890-1948) et Albert Jugon (1890-1959) seront en 1921 les fondateurs de L’Union des blessés de la face et de la tête « les gueules cassées », association d’entraide et de secours aux mutilés faciaux qui existe encore de nos jours.

«Gueules cassées» en 1926. BHU Santé Paris-Descartes

Val-de-Grâce, collection de moulages de blessés de guerre du Dr Morestin (vers 1924). Source : gallica.bnf.fr



Sur les traces de Morestin en Martinique et ailleurs

Hippolyte Morestin a rédigé 634 articles, ouvrages et communications. Ses productions, manuscrits, papiers médicaux et autres documents sont conservés et numérisés en grande partie dans les archives de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), à l’ancien hôpital militaire du Val-de-Grâce, à la bibliothèque interuniversitaire de santé Paris--Descartes, à la bibliothèque de l’Académie de médecine, à la Bibliothèque nationale de France mais aussi à Londres, Los Angeles et Uppsala (Suède), ce qui atteste de l’importance et du rayonnement de son œuvre.

 Malheureusement, l’éruption volcanique du 8 mai 1902 de la montagne Pelée à Saint-Pierre, détruisant la ville et causant la mort de plus de 26 000 personnes, a emporté 21 membres de sa parenté, dont son frère aîné Charles, et bon nombre de documents, archives, souvenirs et biens familiaux. C’est ainsi que les Morestin disparaissent peu à peu de la Martinique en même temps que la plupart des traces de leur existence. Un nommé Aly Morestin est cordonnier à Fonds-Lahaye (Schœlcher) en 1936 sans que l’on en sache davantage. Trois frères et deux sœurs à Hippolyte ont échappé à l’éruption ; ils auraient vécu un temps à Fort-de-France avant de quitter définitivement la Martinique pour s’installer à Paris. Quant à la maison natale, très délabrée, elle a été rasée dans les années 2000 ; il reste désormais la rue principale de Basse-Pointe qui porte le nom du Dr Hippolyte Morestin, ainsi qu’une rue à Rivière-Salée et une autre aux Anse-d’Arlet. Il est à signaler que l’ancien centre hospitalier du Lamentin avait un pavillon Morestin. A Paris, l’hôpital Saint-Louis a un groupe de salles qui porte également son nom. Néanmoins, le souvenir d’Hippolyte Morestin semble bel et bien s’être estompé de la mémoire collective.

Tombe d'H. Morestin au Père-Lachaise (Paris). Photos X. Chevallier

Sur le plan privé, d’un caractère peu sociable, Hippolyte Morestin fut solitaire toute sa vie. Célibataire, il n’a pas eu d’enfants. Cependant, à Paris et à Châbons, on peut retrouver des descendants, en particulier des arrière-petits-neveux et nièces. Cent cinquante ans après sa naissance et cent ans après sa disparition, malgré des zones d’ombre, la vie et l’œuvre de cet illustre chirurgien au destin hors du commun demeurent passionnantes et riches d’enseignements.

Xavier Chevallier



A lire ou voir : audio-vidéo sur Manioc.org et autres ressources contemporaines en ligne

Documents sources cités consultables sur Manioc

  AP-HP = Assistance publique des hôpitaux de Paris



Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2019/10/dr-morestin-je-presume-suite-et-fin.html

mardi 1 octobre 2019

Noms de lieux de Martinique

La toponymie de la Martinique et son évolution dans le temps





Cet article fait suite à une conférence de vulgarisation scientifique proposée par Rolande Bosphore, docteure en histoire, sur la toponymie en Martinique.
La toponymie est l'étude des noms de lieux et de leur évolution. La toponymie va également permettre de retrouver à quel moment et par qui les noms ont été donnés et ainsi contribuer à renseigner l'histoire des lieux.

Origine du nom de la Martinique

Le nom de l'île a lui-même connu des évolutions. Les premiers habitants, les Kalinago l'auraient nommée Iouanacaéra ou Yanacouaera, l'île aux iguanes/île aux serpents. Elle prendrait ensuite le nom de Matinino (différentes graphies dérivées) qui signifierait île sans père (ma-sans, -inin : père, -no : suffixe marqueur du pluriel) ou île aux femmes.
L'explication encore fréquente, qui voudrait que Christophe Colomb ait donné le nom de Martinique en l'honneur de Saint-Martin lors de son deuxième voyage entre le 11 et le 12 novembre (date de la mort de Saint-Martin) est erronée car Christophe Colomb ne s'est pas rendu en Martinique à cette date. Le fait concerne l'actuelle île franco-hollandaise de Saint-Martin et non la Martinique dont le nom dériverait bel et bien de Matinino (voir l'article de Thierry L'Etang De Matinino à Martinique, variantes toponymiques, cartographiques ou textuelles dans "Cahiers du patrimoine", n° 26, 2008, p. 20-23).

Le nom Martinique n'apparaît que tardivement, vers la fin du XVIe, voire au début du XVIIe siècle.

Bien qu'on retrouve le terme Madinina dans l'oeuvre du Père du Tertre au XVIIe siècle, la signification d'"île aux fleurs" est, selon L'Etang (opt. cit.), "fantaisiste [...] dépourvue de toute base historique ou linguistique". Assez récente (seconde moitié du XIXe siècle), elle est liée au développement du tourisme. La plupart des fleurs qu'on trouve alors en Martinique ne sont pas des espèces endémiques. Les routes ont été fleuries sur le passage des américains venant visiter l'île en 1902, après l'éruption de la Montagne Pelée, ce qui a pu populariser le terme.


Les autres noms de lieu en Martinique


Dans la majorité des pays, les noms géographiques ont été créés par les habitants de la région et se sont transmis oralement. Ce n'est pas le cas dans les colonies où les noms ont été changé par volonté de conquête et de domination et éventuellement à cause de la barrière de la langue.


Noms issus de la colonisation et de la période esclavagiste

Les noms sont donnés par les officiers qui prennent possession des îles en chassant les indigènes. Ces noms cherchent à asseoir la domination des colons sur les îles.

Noms provenant de patronymes : beaucoup de noms de lieux en Martinique sont issus des patronymes des colons. Les paroisses seront nommées par les colons et les religieux. Par exemple, Saint-Pierre a été nommé par Pierre Belain d'Estambuc. 

Noms à cause des esclaves : Contrairement à ce qu’on croit, les noms ne sont pas donnés par les esclaves. Les colons disent : il y a des marrons là, donc morne Marron. Fond gens libres : les premiers affranchis. Ou bien vient d’un nom Jean Libre (cf plus bas).

Héritage kalina
: les colons donnent le nom Pilote au chef Kalina, Rivière Pilote, Case-Pilote. Autres noms kalina :  Arlet, Macouba, Macabou, Carbet

Noms venant de la religion
, colons venant sous couvert d’évangélisation : Sainte-Marie, Saint-Esprit. La religion catholique se retrouve dans les noms de lieux. Paradis, Jeanne d’Arc, médaille...

Hommage aux faits d’armes
: morne Pavillon, baie des Flamands (bataille entre français et hollandais), rivière du Galion (bateaux espagnols)...

Noms reflétant l’économie
: place du marché, rue Paille…


Noms des animaux : Lamentin, Morne Carette (tortue), Fond serpent...


Toponymie en fonction du relief, de la végétation, du climat : Morne Coco, Morne Gommier, Bois Blanc, Morne Calebasse, Acajou...

Noms donnés aux alentours de l'abolition


Après l'abolition, de 1857 à 1862, des Africains immigrent sur l'île, avec des contrats de travail. Un premier convoi arrive de Sierra Leone avec 284 engagés pour 6 ans, a priori sur la base du volontariat. Un deuxième convoi est arrivé dans d'autres conditions de recrutement. Ils sont appelés les "Congos". Ils demeurent dans l'île à l'issue de leur contrat et se regroupent dans des mêmes lieux qui deviennent : Morne l'Afrique, Morne Congo, Trou Congo, Nèg Djinen (nègre de Guinée). 
Deux toponymes rappellent les immigrants chinois : Le Chinois à Saint-Pierre et le Col Yang Ting à Morne Rouge. Aucun nom ne semble rappeler faire référence aux immigrants indiens. Au même moment, des noms liés aux croyances sont donnés aux lieux ; les esclaves se débarrassent du carcan de l'habitation et retrouvent leur religion : le culte des ancêtres. On voit apparaître Fond Zombi (ancêtre), Fond Cérémaux (serrer les maux : petit bassin situé près de Trinité dans lequel il est dit qu'il faut se baigner trois fois pour guérir les rhumatismes, douleurs et autres maux. En sortant de l'eau, on devait lancer dans le bassin, par dessus l'épaule et sans se retourner, une pièce de monnaie).

Pour certains noms, l'origine est imprécise comme par exemple Fond Gens Libres ou Fond Jean Libre. Le premier nom désignerait les quartiers habités par des libres de couleur, comme Fond Mulâtre. Mais une autre explication serait le nom donné à la rivière Jean Libre (affluent de Rivière-Pilote) : deux "nègres libres" sont propriétaires à Rivière Pilote : Pierre Dicelement (dit Célément ou Sélément) et Jean, appelé Jean Libre de la Rivière Pilote. Le nom Libre est devenu un surnom qui a été noté sur la carte. Cf article de Léo Elisabeth Les Gens libres dans la toponymie dans Cahiers du patrimoine, n° 26, 2008, p. 80-82).


Au XXe siècle et de nos jours


Actuellement, la toponymie utilisée est une toponymie de circonstances (rue des sinistrés, après l'éruption de la Montagne Pelée ou une toponymie d'hommages ; certaines communes militantes donnent des noms en hommage à des personnalités (exemple au Lamentin).

Évolution de la toponymie, quelques exemples


L'évolution des noms fait souvent perdre l'histoire des lieux lors de leur renommage.

Ducos : la ville de Ducos s'appelait auparavant Trou-au-chat. Elle a pris le nom de Ducos-Bourg (aujourd'hui simplement Ducos) en hommage à Théodore Ducos, ministre de la Marine et des Colonies. 


Schoelcher : la ville de Schoelcher s'appelait auparavant Case-Navire, quartier où arrivaient les bateaux. La commune de Case-Navire a pris le nom de Victor Schoelcher de son vivant, en hommage à son combat contre l'esclavage.

Abbé Joseph Rennard, Origine des paroisses et des quartiers de la Martinique
Fort-de-France, Imprimerie Antillaise, 1927, p.55 


Le nom Case-Navire désigne actuellement un quartier de la commune.


Toponymie et identité


La toponymie reflète l'histoire et nous ancre dans un territoire. Même si les petits noms tendent à disparaître (disparition du champ de canne, maisons abattues pour construire un immeuble), les noms de lieux sont à préserver car ils font partie de l'identité. Actuellement certains noms donnés ne présentent aucun sens : noms de fleurs non endémiques à la Martinique utilisés dans les lotissements qui occupent les anciens champs de canne à sucre au lieu d'aller chercher le nom cadastral.

De même, la toponymie d'hommage n'est pas très variée, les mêmes noms sont donnés : Aimé Césaire, Frantz Fanon, comme s'il n'existait pas d'autres personnes valeureuses en Martinique.

Place Bertin

Par contre, certains noms ne devraient -ils pas être changés en expliquant pourquoi ? La place Joyeuse à Trinité et la place Bertin à Saint-Pierre. Thomas Villaret de Joyeuse et Charles-Henri Bertin ont été chargé de maintenir l'esclavage en Martinique.



Donner des noms à des lieux n'est pas anodin. Les noms de lieux portent l'empreinte du créole et sont donc marqueurs de l'identité culturelle. Il est important de ne pas changer des noms sans respecter cette identité. La toponymie fait partie du patrimoine d'un territoire et est à préserver comme tout élément du patrimoine.



Livres anciens sur Manioc.org

Périodiques 

Pour aller plus loin

  • Marie-Eugénie, André, Danielle Marceline, Marie-Alice, André-Jacoulet, et al., Les hommes d'hier dans nos rues d'aujourd'hui : Fort-de-France, Fort-de-France, Editions Femmes actuelles, 1986.
A.F. 


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