vendredi 20 décembre 2019

Virginie Sampeur, Jean Price-Mars, Ida Faubert

Trois figures importantes de la littérature haïtienne autour de deux dates : 1919 et 1969


V. Sapeur, J. Price-Mars, I. Faubert
En 1919, l’occupation d’Haïti par les Etats-Unis compte déjà quatre ans d’exactions du Corps des Marines, dans le monde rural notamment, quand la camarde* décide de faucher Virginie Sampeur (28 mars 1839-juin 1919), considérée comme la première poétesse de l’histoire de la littérature haïtienne. Au cours de cette même année de deuil et d’indignation, face à l’occupant, au désarroi de l’élite haïtienne et à toutes sortes de velléités patriotiques, le Dr Jean Price-Mars (15 octobre 1876-1er mars 1969) publie La vocation de l’élite qu’il dédie à Ida Faubert (14 février 1882-1969), première écrivaine haïtienne à s’affirmer avec audace, tant en Haïti qu’en France, notamment à Paris où elle recevait son dédicateur dans son propre salon littéraire, ainsi que d’autres artistes et intellectuels de renom, tels Léon Laleau (1892-1979), Robert Desnos (1900-1945) et Juan Mirò (1893-1983).

Virginie Sampeur

Alors qu’en 1962, elle convole en justes noces avec le jeune Oswald Durand (1840-1906), l’auteur de « Choucoune », Virginie Sampeur demandera le divorce à ce grand coureur de jupons devant l’Eternel, neuf ans après. Son amère histoire avec le poète volage sert de ferment à son poème « L’Abandonnée » (1976), sa seule « pièce » littéraire qui trouve grâce aux yeux de Duraciné Vaval (1879-1952), l’auteur de l’Histoire de la littérature haïtienne ou l’âme noire (1933).
Lectrices et lecteurs contemporains apprécieront encore mieux toute la délicatesse, teintée d’une certaine phallocratie, de notre écrivain à travers les pages consacrées (p. 89-91) à Virginie Sampeur et Ida Faubert dans l’ouvrage sus indiqué. Lectrices et lecteurs peuvent aussi goûter les rares vers de la poétesse sur Manioc, spécialement son poème « Puisque le ciel t’envoie », à la page 89 de l’Anthologie d'un siècle de poésie haïtienne : 1817-1925, de Louis Morpeau (1895-1926) :
Puisque le ciel t’envoie
Fortune, amour et joie,
Tu peux bien m’oublier ;
Vis sans inquiétude,
Et dans la solitude,
Pour toi je vais prier ! 

Ida Faubert

Contrairement à son aînée, la mélancolie et le déchirement d’Ida Faubert s’accommodent de son cœur maternel, meurtri après le décès prématuré de sa fille Jacqueline. « Pour Jacqueline », le poème dédié précisément à sa fille, qu’on peut lire à la page 289 de l’Anthologie d'un siècle de poésie haïtienne…, figure dans son unique recueil Cœur des îles (1939). Mais en contrepoint, dans ce même recueil, son écriture poétique, très classique, laisse transpirer également un mouvement passionné du cœur et du corps imbibé de désirs, avec de fortes inflexions romantiques. Le « Soir » (Anthologie d'un siècle de poésie haïtienne…, p. 287, 288) nous fait entendre un véritable appel des sens – les cinq bien entendu – dans l’écoulement du temps propice :
Il fait doux au jardin où s’effeuillent les roses.
Dans le soir embaumé, laissons nos cœurs s’unir,
Et ne nous parlons plus. Quand la nuit va venir,
Il ne faut pas troubler le silence des choses.

Mais que mon front repose encore sur tes genoux,
Pour que s’apaise un peu la peine de mon âme,
Pour que mon triste cœur se ranime à ta flamme,
Et se mêle au parfum qui flotte autour de nous.

Garde mes doigts frileux blottis dans ta main tendre,
Le vent fait frissonner les branches des lilas,
L’heure est douce, et mon cœur me semble bien moins las ;
Serre-moi contre toi comme pour me défendre.
La voix qu’on entend dans le poème, c’est celle d’une femme liant intrinsèquement cœur, corps, esprit et nature immédiate, dans un lyrisme partagé entre l’inspiration d’une Louise Labé (1522-1566) et celle d’une Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859). Auteur également de Sous le ciel Caraïbe, histoires d’Haïti et d’ailleurs… (1959), féminine et féministe d’avant-garde, Ida Faubert incarne « La Femme de Demain », titre de l’une des sept conférences prononcées par Jean Price-Mars en 1917 et qui composent sa Vocation de l’élite (1919). Pierre angulaire de ce livre, selon l’opinion générale, « La Femme de Demain » présente, entre autres, une critique du dressage éducationnel de la femme haïtienne aux prises avec les préjugés de classes (économiques et sociales) et les inégalités sociales (voir La Femme de Demain, Presses Nationales d’Haïti, 2002).

Jean Price-Mars

Figure marquante de l’intelligentsia haïtienne – médecin, ethnologue et diplomate, Jean Price-Mars nous livre en 1928, après sa première grande entreprise littéraire et intellectuelle (La vocation de l’élite), son œuvre majeure : Ainsi parla l’oncle. Cet ouvrage-phare s’applique à valoriser la culture et l’identité haïtiennes qui s’arc-boutent selon lui sur une matrice inéluctable : le vodou. Influencé sans doute par le positivisme du sociologue David Emile Durkheim (1858-1917), il met en avant tous les critères manifestes qui permettent d’élever le vodou au rang de religion, tout en dénonçant les discours insensés de ses détracteurs de tous crins et le bovarysme ambiant de l’élite haïtienne, ayant le regard tourné vers l’extérieur, vers tout ce qu’elle n’est pas : fille fidèle de l’occident, fille fidèle à l’occident, égarée sous le ciel d’Haïti. Duraciné Vaval ne manque pas de chanter le renom de cette éminence grise, ses intentions morales et son moment de gloire à travers sept bonnes pages de son Histoire de la littérature haïtienne ou l’âme noire (p.366-373).
Le mouvement de l’Indigénisme haïtien, à travers le poète Carl Brouard (1902-1965), et celui de la Négritude, via Léopold Sedar Senghor (1906-2001), reconnaissent leur dette envers ce penseur du monde noir, de renommée mondiale. En ce sens, nous convions lectrices et lecteurs à visionner sur Manioc la conférence éclairante de John Picard Byron intitulée Jean Price-Mars et la Négritude : d’une filiation revendiquée à l’établissement d’une relation complexe. En fin de vie, d’aucuns reprochent au penseur et théoricien haïtien, sa complaisance vis-à-vis de la dictature (1957-1971) du Dr François Duvalier qui s’inspirera d’ailleurs de ses écrits pour alimenter son noirisme, l’idéologie insidieuse de son régime étatique.

Ainsi, l’année 2019 rappelle le centenaire de la mort de Virginie Sampeur ainsi que la complicité intellectuelle liant Ida Faubert et Jean Price-Mars, au point de voir ces deux derniers esprits partir au cours de la même année 1969 vers le pays sans chapeau** : double cinquantenaire de départ vers les ombres, donc, mis en lumière ici !


*Camarde : la mort ou sa figure allégorique, représentée généralement sous les traits d'un squelette, donc sans nez, proche du sens de l’adjectif « camard », désignant « le nez plat ».

**Aller au pays sans chapeau : mourir.

Sources



JDD

Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2019/12/virginie-sampeur-jean-price-mars-ida.html

jeudi 21 novembre 2019

Appel à contribution ACURIL 2020 Design Thinking

Partagez votre expérience autour du Design Thinking dans les bibliothèques, archives et musées !


Pour son 50e congrès, ACURIL se réunira sous la présidence de Berthamae Walker à Nassau, au Bahamas, du 7 au 11 juin 2020 autour de la thématique : "Design thinking dans les bibliothèques, archives et musées : révolutionnons notre façon de travailler". Le congrès offre une occasion inédite d'explorer cette méthode qui permet de repenser en profondeur et au quotidien, la conception et la réalisation des projets. L'événement offre également l'opportunité aux professionnels de la région de valoriser leurs expériences et/ou recherches en proposant un atelier ou une communication. Les propositions (en français, anglais ou espagnol) doivent être envoyées avant le 20 décembre.

Qu'est-ce que le Design thinking ?

Selon Tim Brown, cadre supérieur de l’IDEO, la conception est « une approche de l’innovation centrée sur l’être humain qui s’inspire de la boîte à outils du concepteur pour intégrer les besoins des personnes, les possibilités technologiques et les exigences du succès des projets ». En se concentrant sur les besoins fondamentaux et les comportements du public, les concepteurs se plongent dans un problème singulier pour trouver une solution innovante. Le processus de conception est généralement compris comme comprenant 5 étapes principales :

  • Faire preuve d'empathie - développez une compréhension profonde du défi
  • Définir - énoncez clairement le problème que vous souhaitez résoudre
  • Créez - réfléchissez aux solutions potentielles, sélectionnez et développez votre solution
  • Prototype - Concevez un prototype pour tester votre solution
  • Test - Participez à un processus de test à cycle court pour affiner votre solution.

Il s’agit d’un processus collaboratif, centré sur l’être humain, qui permet d’explorer rapidement et efficacement plusieurs solutions à un même problème. Il permet à tout un effectif - pas seulement aux concepteurs - de remettre en question les approches et d’imaginer un large éventail de solutions possibles.
Le design thinking est à la fois une méthode et un état d’esprit qui peuvent servir à relever les défis quotidiens dans une bibliothèque. Vous pouvez y recourir pour mettre en place des programmes d’activités, des services, des espaces ou des modes d’organisation plus efficaces.

Soumettre une proposition

Vous pouvez proposer une communication (paper) ou un atelier (workshop)
Votre proposition doit inclure les éléments suivants :
Titre (de la communication, de l'atelier, résumé (200-500 mots), nom de l'intervenant, présentation biographique courte de l'intervenant (150 words), titre/poste occupé par l'intervenant, affiliation, adresse email, téléphone, équipement nécessaire pour la présentation.

  • Envoi de la proposition : avant le 20 décembre 2019
  • Notification d'acceptation : 24 janvier 2020
  • Envoi du texte complet : 28 février 2020

Les propositions doivent être envoyées par email à :
Dr. Berthamae Walker, Ph.D.
ACURIL President 2019-2020 and
Chair, Conference Programme Committee
Email address: berthamae.walker@ub.edu.bs

L'appel à contribution complet ainsi que les guides pour soumettre une proposition sont disponibles en ligne. Pour toute aide à la traduction, vous pouvez adresser un email à anne.pajard@univ-antilles.fr.

Restez connectés : le blog Manioc vous communiquera les informations sur le congrès : conférenciers invités, modalités d'inscription...

AP


Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2019/11/appel-contribution-acuril-2020-design.html

lundi 28 octobre 2019

Les plantes tinctoriales

Les plantes tinctoriales dans la Caraïbe : peut-être un nouvel essor à l'heure du développement durable ?


L'art de la teinture est ancien et universel. Les plantes et les animaux ont de tout temps été utilisés pour teindre les tissus et les fibres. 
La plante la plus connue des Antilles est l'indigo puisqu'elle a été cultivée et transformée dans les indigoteries des habitations mais d'autres plantes ont été utilisées pour teindre. 

Méthodes de teinture

Les méthodes de teinture ont été mises au point, à diverses époques par les teinturier.e.s de différents continents pour extraire du mieux possible les colorants des plantes et de quelques animaux disponibles dans leur environnement et pour les fixer sur une grande variété de supports, principalement textiles. Ces différentes recettes ont la particularité de se ressembler de façon étonnante. La teinture est une activité très empirique qui exigeait des dons d'observation pour repérer les substances qui permettent de teindre : il suffit de tester pour voir si la couleur apparaît ou non, reste ou ne reste pas sur la fibre ou le tissu.
Néanmoins, la teinture est un procédé chimique assez complexe et mystérieux. Les colorants sont constitués de nombreuses molécules dont beaucoup ne sont pas connues. Et ces molécules colorantes n'ont pas toujours une "affinité chimique" avec les fibres textiles et il faut employer d'autres substances (appelées mordants ou adjuvants) pour les fixer. Leurs rôles, c'est-à-dire les réactions avec les colorants et les fibres, ne sont pas encore complètement élucidés.

Les plantes tinctoriales

Les teinturiers florentins du XVe siècle disaient pour plaisanter "qu'ogni erbaccia fa tinta",  que la première mauvaise herbe venue teint. En effet, les flavonoïdes ou les tanins dotés de pouvoir colorant sont présents dans de nombreuses plantes et arbres et permettent d'obtenir des jaunes ou des beiges, des gris et des bruns. Cependant, depuis très longtemps, les teinturiers ne s'en sont pas contentés et ont toujours sélectionné un nombre plus restreint de plantes qui présentent différentes qualités : beauté, vivacité, intensité et solidité. 

Dominique Cardon, historienne française, spécialiste de l'histoire des techniques textiles et de la teinture, remarque que les teinturier.e.s ont souvent sélectionné des familles de plantes particulièrement riches en certains colorants : pour les rouges vifs, ils ont utilisé de préférence les racines de certaines herbes, lianes ou arbres. Il s'avère que toutes ces plantes sont aujourd'hui classées par les botanistes dans la même famille (les Rubiacées) et les chimistes ont découvert chez elles une combinaison de colorants du même groupe (celui des anthraquinones).

La découverte des plantes donnant la couleur bleue est encore plus étonnante : l'indigo (voir partie ci-dessous), qui produit ce bleu unique (le bleu du pastel étant plus pâle), n'existe pas sans transformation. Son extraction est assez compliquée. Cette teinture est utilisée depuis les âges préhistoriques par des civilisations très éloignées les unes des autres géographiquement.


Les teinturiers, pour renforcer la couleur et la solidité des teintures, ont également essayé puis adopté l'usage de diverses substances minérales (cristaux, boues, oxydes métalliques) ou organiques (urine, excréments, sang, graisses animales et végétales, jus et décoctions de plantes). Ces substances sont appelées mordants et servent au mordançage.

L'indigo 

L'indigo est obtenu à partir de l'indigotier. Cet arbrisseau a plusieurs centaines de variétés dans différentes régions tropicales. Il a été utilisé dès l'Antiquité sur plusieurs continents pour teindre des textiles. En Europe durant le Moyen-Age, le bleu est obtenu à partir de la guède ou pastel (Isatis tinctoria) mais, au XVIIe et XVIIIe siècle, la teinture d'indigotier, plus rentable, va remplacer celle obtenue à partir du pastel. La culture d'indigotiers est l'une des premières cultures à avoir été introduite par les colons européens dans le "Nouveau Monde". Cette industrie était destinée aux ateliers de teinturiers d'Europe. Elle va se développer dans l'ensemble de la Caraïbe au XVIIe et XVIIIe siècle et jouer un rôle économique non négligeable. Il est encore possible de voir des vestiges d'indigoterie, entourés des plants d'indigotiers. Les deux espèces d'indigo des Antilles sont l'indigo anil (Indigofera suffruticosa Mill.) et l'indigo franc (Indigofera tinctoria L.). 


Autres plantes tinctoriales

Aux Antilles, d'autres plantes permettent de teindre les tissus, le corps ou les objets domestiques. En voici quelques unes : 
- le Campêche ou Bois de Campêche (Haematoxylum campechianum) est un petit arbre tropical de la famille des Fabacés dont l'écorce donne du violet lorsqu'il est mélangé à de l'alun ou du noir profond. D'ailleurs, à partir du XVIIe siècle, le campêche connut un essor économique très important avec la découverte de la technique d'un noir solide et la "marée noire" vestimentaire (Réforme, puritanisme, pouvoir de la bourgeoisie : tout le monde s'habille en noir).
- le Noni ou nono ou pomme-chien (Morinda citrifolia) : le bois de cet arbre donnant des fruits d'une odeur assez nauséabonde, de la famille des Rubiacée donne une couleur jaune orangé. D'autres parties de l'arbre fournit du rouge.

- le roucou (photo ci-contre) ou rocou (Bixa orellana) : les graines du rocouyer étaient utilisées par les populations amérindiennes pour se protéger des piqûres d'insectes et contre le soleil mais également comme parure pour le corps (certainement à l'origine du terme "indiens Peaux-Rouges") et comme protection magique. Le rocouyer est une plante sacrée pour de nombreux peuples d'Amazonie. Il est appelé arbre à rouge à lèvres aux Antilles. Le roucou était déjà utilisé comme colorant alimentaire et agent de texture dans les recettes précolombiennes de boisson au chocolat. De nos jours, il est utilisé en grandes quantités pour colorer en jaune les matières grasses, comme les huiles, le beurre, les margarines... sous le nom E160.
- le curcuma (Curcuma longa) donne une teinture très puissante et colore directement en jaune d'or quasiment n'importe quelle matière. 
- le génipa (Genipa americana) de la famille des Rubiacée : l'écorce (ou le jus du fruit) servait aux Indiens à mettre des couleurs noires sur le corps lorsqu'ils partaient se battre. 
- le pernambouc (Caesalpinia echinata) ou bois rouge. Egalement appelé brezil, brésil, pau-brasil, il a donné son nom au Brésil. Un état du Brésil porte également le nom Pernambouc.
- la bignone écarlate (Arrabidea chica) utilisée en Guyane et par les Arawaks. Selon la façon dont les feuilles sont travaillées, elles servent à la préparation d'un fard rouge carmin brillant pour dessiner de fines peintures faciales ou pour décorer des poteries.
- Licania macrophylla, appelée en créole gris-gris rouge, dont l'écorce était utilisée pour les cordes d'arc ou les voiles de bateau.
- Simira tinctoria, autre Rubiacée : l'écorce et les feuilles sont écrasées dans l'eau froide. Au bout d'une heure ou deux, le liquide devient rose foncé et peut être utilisé pour teindre des vêtements en les trempant dedans. 

Les perspectives de développement


À l'heure du développement durable, de l'utilisation de produits naturels et des DIY (Do It Yourself), les plantes peuvent fournir des pistes intéressantes.
En 2014, a eu lieu le 8e colloque international des plantes aromatiques et médicinales (CIPAM 8) en Guadeloupe autour de la thématique "Innovations et traditions au cœur de la biodiversité des Caraïbes". Une journée a été consacrée aux plantes tinctoriales et fibres naturelles. Avec des conférences de Dominique Cardon (Histoire des plantes tinctoriales : place de la Guadeloupe), Tristan Yvon (Histoire des indigoteries de Marie-Galante) et Yves Pelissier (Fibres naturelles de Guadeloupe : perspectives d'exploitation) et Patrick Brénac (Contraintes liées à la qualité des matières premières tinctoriales). 

La reprise de la culture de plantes tinctoriales pourrait être une perspective innovante d'avenir. Il existe des sites sur lesquelles il est possible de commander des teintures pour les tissus mais aussi pour les cheveux. 

Ressources et références 

Livres anciens sur Manioc.org 

Pour aller plus loin

A.F.




Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2019/10/les-plantes-tinctoriales.html

samedi 12 octobre 2019

« Docteur Morestin, je présume ?». Suite et fin

Hippolyte Morestin, un grand chirurgien martiniquais méconnu de la guerre 14-18. 2ème et dernier épisode.

H. Morestin opérant le visage d'un patient (s.d, Source : AP-HP*)

Après avoir décrit dans un premier billet les origines familiales, sociales ainsi que le parcours scolaire et universitaire de ce natif de Basse-Pointe, Manioc retrace à présent l'itinéraire professionnel singulier du docteur H. Morestin, dans le contexte de la Première guerre mondiale, au contact des douloureusement célèbres "Gueules cassées" auxquelles cet as de la chirurgie réparatrice, mort prématurément en 1919 - à 50 ans- ne survécut guère.


 Le Dr Morestin dans la tourmente de la Grande Guerre

 

Début août 1914, la France et l'Allemagne entrent en guerre. Le conflit européen devient mondial et s'est enlisé à l'image des centaines de milliers de soldats dans les tranchées. Il se produit alors un phénomène aussi dramatique qu'imprévu : les balles des pistolets, fusils et mitrailleuses, les grenades et les obus causent en quelques mois un nombre jamais vu auparavant de graves blessures au crâne, à la mâchoire et au visage. En France, ce seront plus de 12 000 mutilés de la face auxquels le médecin aide-major de 2ème classe H. Morestin et bien d'autres médecins, dentistes et infirmières vont consacrer leurs efforts à soigner.

H. Morestin exerce à l’hôpital Saint-Louis, à l’hôpital de la fondation Rothschild et surtout à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, dans la Vème division des blessés de la face où beaucoup de ses patients lui voueront un véritable culte. Le 15 décembre 1917, ces derniers font paraître La Greffe générale : organe des blessés de la face dont la devise est Rire quand même ! En haut de la première page est marqué : « A celui dont la science et le dévouement nous ont rendu l’espoir, nous dédions respectueusement ce numéro, première manifestation de notre gaité retrouvée. »  Le numéro 2 du 15 janvier 1918 est dédié « Aux dignes collaborateurs de Monsieur le Professeur Morestin ».  Son supérieur hiérarchique au Val-de-Grâce, le médecin principal de 1ère classe Delamare, chargé de ses appréciations, écrit le 1er décembre 1917 : « chirurgien de la plus haute valeur, a pratiqué un nombre considérable de restaurations de la face avec un succès remarquable. D’une réputation mondiale méritée, est toujours digne des plus grands éloges. »

Il est fait chevalier de la Légion d’honneur le 27 avril 1915 et officier le 30 décembre 1918. Se donnant sans compter à améliorer l’état des soldats défigurés, promoteur des autoplasties en jeu de patience et passé maître dans l’art des greffes adipeuses, cartilagineuses et osseuses, son travail de reconstruction des visages fait l’admiration de la communauté médicale. Il présente à plusieurs reprises le résultat de ses travaux à l’Académie de médecine où il est ovationné. La presse parisienne de l’époque est dithyrambique et le fait connaître du grand public : « prodiges de restauration faciale et crânienne », « sculpteur de chair humaine », « bienfaits et miracles de la chirurgie réparatrice », « merveilleuses restaurations de la face », peut-on lire dans différents journaux.  Sa réputation ne cesse de croître, y compris en Espagne, au Royaume –Uni et aux Etats-Unis.  



 La Greffe Générale : organe des blessés de la face, n°1, déc. 1917. Bib. de l'Académie de Médecine de Paris
Agrandissement d'une partie du même document [hommage à Morestin]
Ainsi ceux qu’on appellera à partir de 1921 les « gueules cassées » vont contribuer bien malgré eux à faire progresser la chirurgie réparatrice et reconstructrice du visage dans laquelle H. Morestin jouera un rôle majeur. Mais si la chirurgie esthétique moderne doit beaucoup à nombre de ses techniques et modes opératoires, Hippolyte Morestin sera, lui, pratiquement oublié. Emporté le 12 février 1919 par la grippe espagnole trois mois après l’Armistice à l’âge de 49 ans, il laisse une œuvre médicale immense mais inachevée que bien de ses confrères de France et du monde entier reprendront et poursuivront.

En outre, trois de ses patients du Val-de-Grâce, le colonel Emile Picot (1862-1938), Bienaimé Jourdain (1890-1948) et Albert Jugon (1890-1959) seront en 1921 les fondateurs de L’Union des blessés de la face et de la tête « les gueules cassées », association d’entraide et de secours aux mutilés faciaux qui existe encore de nos jours.

«Gueules cassées» en 1926. BHU Santé Paris-Descartes

Val-de-Grâce, collection de moulages de blessés de guerre du Dr Morestin (vers 1924). Source : gallica.bnf.fr



Sur les traces de Morestin en Martinique et ailleurs

Hippolyte Morestin a rédigé 634 articles, ouvrages et communications. Ses productions, manuscrits, papiers médicaux et autres documents sont conservés et numérisés en grande partie dans les archives de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP), à l’ancien hôpital militaire du Val-de-Grâce, à la bibliothèque interuniversitaire de santé Paris--Descartes, à la bibliothèque de l’Académie de médecine, à la Bibliothèque nationale de France mais aussi à Londres, Los Angeles et Uppsala (Suède), ce qui atteste de l’importance et du rayonnement de son œuvre.

 Malheureusement, l’éruption volcanique du 8 mai 1902 de la montagne Pelée à Saint-Pierre, détruisant la ville et causant la mort de plus de 26 000 personnes, a emporté 21 membres de sa parenté, dont son frère aîné Charles, et bon nombre de documents, archives, souvenirs et biens familiaux. C’est ainsi que les Morestin disparaissent peu à peu de la Martinique en même temps que la plupart des traces de leur existence. Un nommé Aly Morestin est cordonnier à Fonds-Lahaye (Schœlcher) en 1936 sans que l’on en sache davantage. Trois frères et deux sœurs à Hippolyte ont échappé à l’éruption ; ils auraient vécu un temps à Fort-de-France avant de quitter définitivement la Martinique pour s’installer à Paris. Quant à la maison natale, très délabrée, elle a été rasée dans les années 2000 ; il reste désormais la rue principale de Basse-Pointe qui porte le nom du Dr Hippolyte Morestin, ainsi qu’une rue à Rivière-Salée et une autre aux Anse-d’Arlet. Il est à signaler que l’ancien centre hospitalier du Lamentin avait un pavillon Morestin. A Paris, l’hôpital Saint-Louis a un groupe de salles qui porte également son nom. Néanmoins, le souvenir d’Hippolyte Morestin semble bel et bien s’être estompé de la mémoire collective.

Tombe d'H. Morestin au Père-Lachaise (Paris). Photos X. Chevallier

Sur le plan privé, d’un caractère peu sociable, Hippolyte Morestin fut solitaire toute sa vie. Célibataire, il n’a pas eu d’enfants. Cependant, à Paris et à Châbons, on peut retrouver des descendants, en particulier des arrière-petits-neveux et nièces. Cent cinquante ans après sa naissance et cent ans après sa disparition, malgré des zones d’ombre, la vie et l’œuvre de cet illustre chirurgien au destin hors du commun demeurent passionnantes et riches d’enseignements.

Xavier Chevallier



A lire ou voir : audio-vidéo sur Manioc.org et autres ressources contemporaines en ligne

Documents sources cités consultables sur Manioc

  AP-HP = Assistance publique des hôpitaux de Paris



Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2019/10/dr-morestin-je-presume-suite-et-fin.html