jeudi 18 janvier 2018

Le temps des mascarades

 Manioc profite de l'ouverture du carnaval 2018 pour rappeler à ses lecteurs que cet événement annuel a donné lieu à un colloque international en 2017 à l’Université de Guyane.




Le temps des mascarades est arrivé.

La Guyane (comme d’autres territoires du continent) se pare de mille tissus aux couleurs chatoyantes, donne libre cours aux désirs et aux nourritures terrestres, autorise provisoirement la transgression des règles de la bienséance et bouscule parfois, le temps d’une danse, les conventions sociales.

Le carnaval 2018 a donc débuté.

L’Université de Guyane a consacré à cette question esthétique et sociale un riche colloque international, intitulé « Bals masqués de Guyane et d’ailleurs : identités et imaginaires carnavalesques en question », qui a rassemblé en janvier 2017 de nombreux intervenants.

La bibliothèque numérique Manioc, en fidèle gardienne de la mémoire et du patrimoine guyanais, vous invite à partager ce moment d’érudition et à prendre la mesure de la profondeur culturelle de ce fait social qu’est le carnaval.

Ce colloque, aux visées exhaustives et comparatives, passe en effet en revue les différents aspects des bals parés-masqués et s’attache à mettre en lumière les spécificités du cas guyanais.



La littérature, les sciences sociales, l’histoire, le droit et l’économie sont ainsi mises à contribution pour lever (de façon non définitive !) le voile mystérieux de ce grand rendez-vous populaire.

Alors bas les masques au nom de la science... ou entrée dans la danse ?

A vous de choisir !

C.B.








Le bal et le masque carnavalesques, un enjeu patrimonial 
de Christian Cécile et Nathalie Gauthard




































Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2018/01/le-temps-des-mascarades.html

mardi 16 janvier 2018

Affaire Dreyfus : "J'accuse" a 120 ans

Le 13 janvier marque la date anniversaire de la publication, en 1898, d’une « une « de presse qui  fit grand bruit à l’époque et dont les échos résonnent toujours à nos oreilles contemporaines tant elle a marqué l’histoire.  

 

Aujourd’hui encore, dans la lignée de Voltaire défendant Jean Callas, et préfigurant un Jean-Paul Sartre soutenant « qu’il ne faut pas parler pour ne rien dire », le « J’accuse » d’Emile Zola défendant le capitaine Alfred Dreyfus demeure le mètre étalon de l’engagement des intellectuels et d’un certain pouvoir de la presse.


Dans cet article s’affichant sur quatre colonnes à la « une » de l'Aurore,  et intitulé sobrement  "Lettre ouverte au Président de la République", le célèbre écrivain démonte de façon méthodique les accusations imputées à Dreyfus, montre du doigt les accusateurs et les vrais coupables et en appelle à la tenue d’un nouveau procès.

Officier d’état-major au ministère de la Guerre, à Paris, Alfred Dreyfus fut faussement accusé en 1894 d’avoir fourni à l’ambassade d’Allemagne des informations ultra secrètes concernant l’armée française. Ourdi par des militaires antisémites confortés dans leur passion par des autorités gouvernementales complaisantes et un contexte politique propice à tous les débordements nationalistes (Guerre de 1870 perdue par la France face à l’Allemagne, apparition des attentats anarchistes, scandale de Panama mettant au jour la corruption de responsables politiques et industriels), le complot, après la sentence rendue par le conseil de guerre, conduisit Dreyfus en déportation à l’île du Diable, en Guyane. A l’issue d’une intense bataille judiciaire et politique qui culmina avec la tribune accusatrice de Zola, Dreyfus fut rejugé, puis, d’abord gracié par le président de la République, réhabilité et réintégré dans l’armée en 1906.

Mais s’il constitua un tournant décisif dans l’Affaire, l’article de Zola ne fut pas le seul écrit inspiré par la situation de l’infortuné capitaine. Sur le mode du roman feuilleton populaire illustré, un certain Jules d’Arzac fit paraître chaque semaine, entre 1931 et 1933,- soit quelques années après la conclusion de cette tragédie judiciaire–« Le calvaire d’un innocent ». 

Selon l’ordre chronologique inspiré des faits, le numéro 2 du journal met ainsi en en scène un Dreyfus encore incrédule, livré aux affres de la prison militaire du Cherche-Midi, juste après son arrestation en 1894 : « Ne m’entendez-vous pas ? continua Alfred Dreyfus, qui était comme transfiguré par le sauvage désespoir qui faisait chavirer son esprit ? Pourquoi est-ce que personne ne me répond ? … Ne comprenez-vous pas que je dois rentrer à la maison. (…) Je suis innocent du crime infâme dont on m’accuse !... Je suis innocent !...nocent !... répéta l’écho de la sinistre galerie… ». Pour l’anecdote éditoriale, un site de librairie d’occasion nous présente cette publication « comme étant la traduction d'un roman allemand écrit par Eugen Von Tegen » en 1930...


Pour aller plus loin

Retrouvez en ligne sur Manioc une réédition de l'ouvrage écrit par Alfred Dreyfus Cinq années de ma vie : 1894-1899 (Paris, Fasquelle, 1901) ainsi que de nombreux ouvrages sur l'Affaire Dreyfus :



P.O.A.

Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2018/01/affaire-dreyfus-jaccuse-120-ans.html

lundi 8 janvier 2018

Félix Éboué : « Jouer le jeu »

Un gouverneur Guyanais aux Antilles



Portrait de Félix Eboué
Les hommes de ma génération ont vécu dans une atmosphère d’aventure, d’exploration. 
Le mystère de l’Afrique a poussé beaucoup d’entre nous vers le continent noir. 
L’Afrique, berceau de mes ancêtres, a toujours exercé sur moi une attirance.
(Félix Éboué, Mémorial des compagnons de Libération)

Aujourd’hui encensé comme le premier Noir à avoir accédé aux plus hautes charges de l’administration coloniale, comme le premier à avoir répondu à l’appel du 18 juin, Félix Éboué incarne à lui seul la figure typique issue de l’ascension sociale propre à la Troisième République en même temps que celle d’un homme courageux aux valeurs inflexibles qui lui vaudront les hommages nationaux. Mais avant de devenir celui par qui la France libre a pu exister concrètement, celui qui proposa pour l’Afrique équatoriale française (AEF) « la nouvelle politique indigène », celui, enfin, qui sera intronisé au Panthéon, il fut celui qui administra pour un temps les Antilles françaises (1932-1934 ; 1936-1938).

Résidence de Félix Éboué de 1932 à 1934, Martinique
Photo : X. Hug pour Manioc, 2017 (licence CC0)

Martinique

En Martinique, il est nommé secrétaire général, puis gouverneur par intérim, au cours de l’année 1932 par M. Paul Reynaud, ministre des Colonies. Il arrive à un moment où les antagonismes sociaux et raciaux étaient exacerbés. En guise d’apaisement, il lance une politique ambitieuse de logements sociaux tout en s’attaquant au problème récurrent de la fraude électorale, un programme qui lui vaudra l’inimitié du gouverneur en place. Surtout, il reste dans les mémoires d’alors comme l’homme du bal « historique » du 11 novembre 1933 pour lequel il avait convié, sans distinctions, blancs, métis et noirs sans que cela ne porte à scandale – un événement inimaginable jusqu’alors.
Plaque apposée à l'entrée de la résidence
Outre les nombreuses rues, places et bâtiments publics nommés en son honneur dans les Antilles et en Guyane où l'aéroport porte son nom, la trace mémorielle du passage de Félix Éboué en Martinique est visible au 64 rue du Professeur-Raymond-Garcin, à Fort-de-France. Construit en 1902, l'édifice, qui a certainement fait l'objet de modifications depuis, aura vu séjourner en ses murs le gouverneur de la Martinique de 1932 à 1934. La résidence des Tourelles, dite résidence du Gouverneur Félix Éboué selon la base Mérimée du ministère de la culture, est aujourd'hui en ruine et illustre cet article.

Guadeloupe

Résidence de Félix Éboué de 1932 à 1934, Martinique
Photo : X. Hug pour Manioc, 2017 (licence CC0)
Après une période d’intermittence au Soudan (1934-1936), Éboué est nommé gouverneur en Guadeloupe en octobre 1936. Là, chargé de mettre en œuvre le programme du Front populaire récemment arrivé au pouvoir, il engage une politique sociale et éducative en direction des masses laborieuses de l’île : cités ouvrières, coopératives, crédit maritime mutuel, aménagement sportif. Il désamorce également la forte tension sociale qu’il trouve à son arrivée par des mesures économiques favorisant la reprise de l’activité, doublé de l’assainissement des finances publiques grevées par les déficits. C’est au cours de ce mandat qu’il prononce ce qui reste comme son plus célèbre discours, le 1er juillet 1937 pour la distribution des prix du lycée Carnot à Pointe-à-Pitre, et où transparaît déjà la figure d’un homme animé par le sens du bien commun et de la justice, l’attachement aux valeurs humanistes et à la nécessaire perfectibilité de l’homme. En filigrane, on peut enfin y lire la politique respectueuse des traditions et peuples locaux qu’Éboué mit en œuvre en AEF lors de son mandat (1938-1944). Manioc vous propose donc de retrouver ci-dessous in extenso un texte qui résonne plus que jamais juste et intemporel.


Jouer le jeu

« Jouer le jeu, c’est être désintéressé.
« Jouer le jeu, c’est réaliser ce sentiment de l’indépendance dont je vous parlais il y a un instant.
« Jouer le jeu, c'est piétiner les préjugés, tous les préjugés, et apprendre à baser l'échelle des valeurs uniquement sur les critères de l'esprit. Et c'est se juger, soi et les autres, d'après cette gamme de valeurs. Par ainsi, il vous sera permis d'affirmer et de faire admettre que les pauvres humains perdent leur temps à ne vouloir considérer que les nuances qui les différencient, pour ne pas réfléchir à trois choses précieuses qui les réunissent : les larmes que le proverbe africain appellent « les ruisseaux sans cailloux ni sable », le sang qui maintient la vie et, enfin, l'intelligence qui classe ces humains en hommes, en ceux qui ne le sont pas ou qui ne le sont guère ou qui ont oublié qu'ils le sont.
« Jouer le jeu, c'est garder farouchement cette indépendance, parure de l'existence; ne pas se laisser séduire par l'appel des sirènes qui invitent à l'embrigadement, et répondre, en pensant aux sacrifices qu'elles exigeraient en retour : Quelle mère je quitterais ! Et pour quel père !
« Jouer le jeu, c'est savoir prendre ses responsabilités et assumer les initiatives, quand les circonstances veulent que l'on soit seul à les endosser; c'est pratiquer le jeu d'équipe avec d'autant plus de ferveur que la notion de l'indépendance vous aura appris à rester libres quand même. Jouer le jeu consiste à ne pas prendre le ciel et la terre à témoin de ses déconvenues, mais, au contraire, à se rappeler les conseils laminaires d'Épictète à son disciple : « Il y a des choses qui dépendent de nous ; il y a des choses qui ne dépendent pas de nous. »
« Jouer le jeu, c'est savoir tirer son chapeau devant les authentiques valeurs qui s'imposent par la qualité de l'esprit et faire un pied de nez aux pédants et aux attardés.
« Jouer le jeu, c'est accepter la décision de l'arbitre que vous avez choisi ou que le libre jeu des institutions vous a imposé.
« Jouer le jeu, c'est, par la répudiation totale des préjugés, se libérer de ce qu'une expression moderne appelle le complexe d'infériorité. C'est aimer les hommes, tous les hommes, et se dire qu'ils sont tous bâtis selon la commune mesure humaine qui est faite de qualités et de défauts.
« Jouer le jeu, c'est mépriser les intrigues et les cabales, ne jamais abdiquer malgré clameurs ou murmures et poursuivre la route droite que l'on s'est tracée.
« Jouer le jeu, c'est pouvoir faire la discrimination entre le sourire et la grimace; c'est s'astreindre à être vrai envers soi pour l'être envers les autres.
« Jouer le jeu, c'est se pénétrer que ce n'est pas en tuant Caliban que l'on sauvera Ariel [dans La Tempête de William Shakespeare: Caliban incarne l'esclave opprimé et rebelle et Ariel le collaborateur].
« Jouer le jeu, c'est respecter l'opinion d'autrui, c'est l'examiner avec objectivité et la combattre seulement si on trouve en soi les raisons de ne pas l'admettre, mais alors le faire courageusement et au grand jour.
« Jouer le jeu, c'est respecter nos valeurs nationales, les aimer, les servir avec passion, avec intelligence, vivre et mourir pour elles, tout en admettant qu'au-delà de nos frontières, d'authentiques valeurs sont également dignes de notre estime, de notre respect. C'est se pénétrer de cette vérité profonde que l'on peut lire au 50e verset des Vers d'Or [attribués à Pythagore, IIIè ou IVè siècle]: « Tu sauras, autant qu'il est donné à l'homme, que la nature est partout la même » et comprendre alors que tous les hommes sont frères et relèvent de notre amour et de notre pitié.
« Jouer le jeu, dès lors, c'est s'élever contre le conseil nietzschéen du diamant au charbon : « Sois dur ! » Et affirmer qu'au-dessus d'une doctrine de la force, il y a une philosophie du droit.
« Jouer le jeu, c'est proclamer qu'on ne « prend pas pour juge un peuple téméraire » et poursuivre son labeur sur le chemin du juste et de l'humain, même lorsque les docteurs et les pontifes vous disent qu'il est trop humain.
« Jouer le jeu, c'est préférer à Wotan, Siegfried, « toute puissance de la jeunesse et spontanéité de la nature ».
« Jouer le jeu, c'est refuser les lentilles pour conserver son droit d'aînesse.
« Jouer le jeu, c'est fuir avec horreur l'unanimité des adhésions dans la poursuite de son labeur. C'est comprendre Descartes et admettre Saint Thomas ; c'est dire : "Que sais-je ?" avec Montaigne, et "Peut-être !" avec Rabelais. C'est trouver autant d'agrément à l'audition d'un chant populaire qu'aux savantes compositions musicales. C'est s'élever si haut que l'on se trouve partout à son aise, dans les somptueux palais comme dans la modeste chaumière de l'homme du peuple ; c'est ne pas voir un excès d'honneur quand on est admis là, et ne pas se sentir gêné quand on est accueilli ici ; c'est attribuer la même valeur spirituelle au protocole officiel, à l'académisme, qu'au geste si touchant par quoi la paysanne guadeloupéenne vous offre, accompagnée du plus exquis des sourires, l'humble fleur des champs, son seul bien, qu'elle est allée cueillir à votre intention.
« Jouer le jeu, enfin, c'est mériter votre libération et signifier la sainteté, la pureté de votre esprit. »

Retrouvez sur Manioc les ouvrages suivants :  

X.H.

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