Hippolyte Morestin, un grand chirurgien martiniquais méconnu de la guerre 14-18.
Morestin pour la revue La Science et la vie, 1913 |
En 1922, le Cercle
artistique et littéraire de Basse-Pointe pose sur la maison natale d’Hippolyte Morestin
un marbre sur lequel est écrit : « Ici naquit le 1er septembre 1869 le Dr Hippolyte Morestin,
éminent chirurgien qui se prodigua pour les blessés de la Grande Guerre et mourut
à Paris le 11 février 1919. » Dans Galeries martiniquaises : population,
mœurs, activités diverses et paysages de la Martinique (1930), de Césaire Philémon (1884-1947), on
peut lire : « Morestin, grand
chirurgien français, né à
Saint-Pierre [sic], régénérateur de
la face humaine, a rendu de grands services pendant la guerre de 1914-1918. » En 1935, Maurice
de Lavigne Sainte-Suzanne (1878-1959) dans ses Conférences indique qu’à l’hôpital du Val-de-Grâce, « le Directeur de cet établissement nous
apprendra qu’un enfant du pays, natif de Basse-Pointe, le docteur Hippolyte Morestin,
pratiqua la chirurgie esthétique sur les grands blessés de la Grande Guerre.
Légion sont les « Gueules cassées » qui lui sont redevables. »
Enfin, dans Fragments d'histoire ou Hier et aujourd'hui : à la
faveur d'une promenade dans les rues et aux environs de Fort-de-France
(1940), Théodore Baude (1866-1949) écrit au sujet de l’hôpital civil :
« Il est à souhaiter que soit donné
à cet hôpital le nom du Docteur Hippolyte Morestin, professeur agrégé de la
faculté de médecine, né à la Basse-Pointe (Martinique) le 6 [sic] septembre 1869, décédé le 11 février 1919 à
Paris. Fondateur de la chirurgie esthétique, il a dirigé le service des blessés
de la face à l’hôpital du Val de Grâce pendant la guerre de 14-18. »
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Maison natale de H. Morestin, Basse-Pointe (vers 2004). Auteur inconnu |
En Martinique dans l’entre-deux-guerres,
tout le monde n’a donc pas oublié Hippolyte Morestin, dont le père, Charles
Amédée Morestin (1837-1901) était lui-même un médecin réputé exerçant à
Basse-Pointe puis à Saint-Pierre. Il y épouse en 1867 Marie-Pauline Berté
(1844-1920), elle aussi native de Saint-Pierre où son père, Pierre Charles
Hippolyte Berté (1813-1869) est magistrat, comme le seront ses deux frères
Emmanuel et Raoul Berté, oncles maternels à H. Morestin. De cette union entre
Charles Morestin et Marie-Pauline Berté naissent 8 enfants - 3 filles, 5
garçons - dont notre futur docteur, qui est le cadet.
Les Morestin, eux, proviennent de la
petite commune de Châbons, située à 40 km de Grenoble en Isère ; ils s’établissent
en Martinique entre 1825 et 1830 et font rapidement partie de la classe blanche
aisée de Saint-Pierre. Ils marquent de leur empreinte la citée pierrotine d’avant 1902 : Jean-Pierre Morestin
(1793-1852), est chirurgien et sera maire de la ville en 1850. Son frère, le
grand-père d’Hippolyte, François André Ferréol dit « Amédée »
Morestin (1802-1847) y est marchand teinturier et propriétaire.
Il existe l’habitation Morestin « située à une altitude variant de 250 à 300
mètres ; ses plantations occupaient le fonds d’une gorge étroite,
extrêmement humide, où roulent les eaux de la Roxelane qui arrose la ville de
Saint-Pierre. » (Gaston Landes, L’avenir
de la canne à sucre en Martinique, 1901) ;
dans le centre-ville, le pont Morestin franchit la rivière Roxelane et le grand
réservoir d’eau Morestin alimente toutes les bornes-fontaines de Saint-Pierre
qui est en grande partie irriguée par « l’eau abondante et pure de la
source Morestin captée à 7 kilomètres et qui
rafraîchissait continuellement
l’atmosphère en relevant la salubrité » (Annuaire de la vie martiniquaise 1936).
Cependant ce n’est pas dans l’hydrothérapie
que le jeune Hippolyte va se lancer mais dans la chirurgie.
Un parcours exceptionnel à Paris
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La Roxelane entre le pont de pierre et le pont Morestin |
Avec son frère aîné Charles, il quitte
la Martinique à 14 ans pour le lycée Louis-le-Grand où il est interne. Après
avoir obtenu facilement le baccalauréat de sciences et de lettres, il s’inscrit
à la Faculté de médecine de Paris en 1886. Réussissant brillamment à tous les
examens, anatomiste hors-pair, il est docteur en médecine en 1894 avec sa thèse
intitulée Des opérations qui se
pratiquent par la voie sacrée qu’il dédie à son père. Il se spécialise alors dans la chirurgie des articulations, mais
aussi celle du cancer de la bouche et de la langue. Malgré une santé précaire -
il souffre de la tuberculose -, il travaille assidûment, rédigeant non seulement
quantité d’articles dans les revues médicales de l’époque mais se révélant
aussi un praticien d’une prodigieuse habileté manuelle. Abcès, lupus, angiomes,
lipomes, kystes, tumeurs de la poitrine et du cou, brûlures, blessures,
oreilles décollées, rhinoplasties, becs de lièvre… le Dr Morestin emploie toute
sa science à corriger et soulager les maux,
altérations et difformités, en particulier les cas les plus graves, prenant
un soin extrême à atténuer toute trace
visible des opérations, à réparer les lésions, voire à améliorer l’apparence
physique de ses patients – la gent féminine lui en est particulièrement reconnaissante.
Nommé chirurgien des hôpitaux en 1898,
agrégé de chirurgie en 1904, Morestin est donc avant la guerre un professionnel
reconnu. Le quotidien La Justice, fondé
et dirigé par un certain Georges
Clémenceau ((1841-1929) - qui était médecin lui-même -, lui consacre un portrait
dans son numéro du 7 novembre 1907 : « estimé de tous et si apprécié dans la haute société parisienne […] un regard sévère qui révèle toutefois pour l’observateur, un cœur d’or
et une grande bonté […], douceur accoutumée envers les malades »,
peut-on y lire. Dans une brève biographie qu’il fait de Morestin en 1910, le Dr
Louis Dartigues (1869-1940) parle d’un « grand chirurgien » à l’« esprit
hautement et vraiment scientifique », d’une « habileté certaine et innée, bonté
désintéressée et pitié envers le malade qui cherche à se cacher sous les
apparences d’une impassibilité voulue » et de « son application constante à la chirurgie
réparatrice et esthétique. » Enfin, dans le premier numéro de la revue La Science et la Vie d’avril 1913, un article
intitulé Les grands chirurgiens français
d’aujourd’hui indique que Morestin est « l’un des maîtres incontestés de la chirurgie esthétique. »
Audio-vidéo sur Manioc.org et autres ressources contemporaines en ligne
- Dumont, Jacques, La figure de l'ennemi : les Antilles et la Première Guerre mondiale, extrait du "46e colloque annuel de l'Association des historiens de la Caraïbe", Université des Antilles et de la Guyane, 15 mai 2014.
- Andrivon-Milton, Sandrine, Les soldats antillo-guyanais dans la Grande Guerre, extrait de "Les soldats antillo-guyanais dans la Grande Guerre", Conférence, Université des Antilles, 2016
- Glicenstein, J. Un livre d'or de la chirurgie plastique française. In : Annales de chirurgie plastique esthétique. Annales de chirurgie plastique esthétique, vol. 55, 2010. p.338-353 (via Google Scholar)
- Hippolyte Morestin (1869-1919). Par Xavier Riaud. Site Internet du département de la Meuse
Documents sources cités consultables sur Manioc
- Philémon, Césaire, Galeries martiniquaises : population, mœurs, activités, diverses, et paysages de la Martinique, [S.l.] : Ateliers Printory. 1930. Collection : Ville de Pointe-à-Pitre. Réseau des bibliothèques.
- Lavigne Sainte-Suzanne, Maurice de, Conférences, Nantes : Imprimerie de Mme Chantreau. 1935. Collection : Université de Nantes. Service commun de la documentation
- Baude, Théodore, Fragments d'histoire ou Hier et aujourd'hui : à la faveur d'une promenade dans les rues et aux environs de Fort-de-France, Fort-de-France : Imprimerie Officielle. 1940. Collection : Université de Nantes. Service commun de la documentation
2 commentaires:
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Remarquable article sur le professeur MORESTIN. Le meilleur de ceux consulté sur Google.
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