lundi 12 avril 2021

France-Brésil, une frontière à l’épreuve des faits

La plus longue frontière du territoire national n’est pas partagée avec nos voisins allemand ou espagnol, ni d’ailleurs avec aucun autre pays (membre ou pas) de l’Union européenne, mais avec le Brésil et ce, sur plus de 700 kilomètres. Cette frontière est notamment matérialisée par une ligne hydrographique de plus de 400 kilomètres, le fleuve Oyapock. 
 
La dimension extra-européenne des frontières du territoire français est pourtant minorée au profit d’une intégration européenne fondée sur la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux où la frontière est synonyme de fermeture et son abolition officielle une perspective souhaitable, sinon indispensable. La récente crise sanitaire a battu en brèche cette conception supranationale de l’administration des territoires, au point que la notion de frontières semble à nouveau débattue et même parfois réhabilitée (Marcel Gauchet, « Avec le coronavirus, on redécouvre la souveraineté », Le Point, 17 mars 2020). En 2021, les candidats aux concours de l’enseignement de l’histoire et de la géographie ont d’ailleurs dû travailler une question suspectée, encore récemment, de charrier les pires intentions politiques. La bibliothèque numérique Manioc souhaite apporter sa contribution à ces débats en proposant à ses lecteurs de découvrir des regards scientifiques brésiliens sur les usages et les interactions à l’œuvre le long de ces 700 kilomètres en partage. 
 

Une frontière d’arbitrage 

 

Les relations franco-brésiliennes nous invitent à « penser géographiquement, aux échelles pertinentes, les fragments localisés d’un monde interdépendant. Les frontières sont les lieux privilégiés de ces interactions » (Michel Foucher, Fronts et frontières : un tour du monde géopolitique, 1991 p. 10) car, comme le rappelle le géographe, « les frontières sont du temps inscrit dans l’espace ou, mieux, des temps inscrits dans des espaces » (p.43). A cet égard la frontière franco-brésilienne constitue un bon exemple de « frontière d’arbitrage » inscrite dans du temps colonial qui a opposé deux « Etats traceurs », la France et le Portugal d’abord, puis le Brésil. Le 10 juin 1808, cette opposition s’est traduite par un conflit armé initié par le roi en exil João VI (la famille royale portugaise avait en effet trouvé refuge au Brésil suite à l’invasion du Portugal par les troupes napoléoniennes). La prise de Cayenne le 14 janvier 1809 marque le début de la mise sous tutelle portugaise de la Guyane française, celle-ci prend fin en 1817.

 

La frontière établie entre les deux puissances était en principe régie par le traité d’Utrecht (du 11 avril 1713), mais celui-ci fut constamment remis en cause par les deux parties. Le différend au sujet de ce territoire contesté fut tranché le 1er décembre 1900 par l’entremise des tribunaux de la Confédération helvétique qui donna raison au Brésil. Le point de vue brésilien l’a donc emporté et lors du colloque intitulé « Littérature, patrimoine culturel et mémoire d'Amazonie » organisé par l'Université de Guyane et le laboratoire MINEA en collaboration avec l'Université Fédérale de l'Amapa et l'Université Fédérale de Para, il a également trouvé une place de choix. 
 


 
 

 

Regards brésiliens sur la « frontière Oyapock »  


Paulo Milhommens, Evilania Bento da Cunha et Fatima Maria Andrade Pelaes ont en effet proposé des contributions tournées vers celles et ceux qui vivent au quotidien la frontière pour en comprendre les usages et les réalités. Le sociologue Paulo Milhommens rappelle que les espaces frontaliers revêtent une multitude d’aspects, que la frontière contient en somme des frontières, entre les groupes sociaux, les langues et les sexes et qu’ils produisent de nombreuses représentations à l’instar de celles véhiculées par les « garimpeiros ».
Evilania Bento da Cunha insiste quant à elle sur la vulnérabilité des peuples autochtones soumis à un double pouvoir d’Etat souvent étranger à leur perception du territoire. Fatima Maria Andrade Pelaes adopte un point de vue géographique et nous invite à réfléchir à la notion de coopération transfrontalière et expose une étude comparée de l’expansion urbaine sur les deux rives de l’Oyapock. 


Evilania Bento da Cunha « Question des frontières et rapport au territoire : Vulnerabilidade nos limites de terras indigenas em área de frontera » http://www.manioc.org/fichiers/V20019
 
Paulo Milhommens , « Question des frontières et rapport au territoire : Ethos da garimpagem na fronteira da Amazônia franco-brasileira uma análise sociologica » http://www.manioc.org/fichiers/V20018 
 
Fatima Maria Andrade Pelaes, « Question des frontières et rapport au territoire : O Amapa e a Guiana Francesa : urbanização nas áreas de fronteira, as cidades do Oiapoque e de Saint-Georges » http://www.manioc.org/fichiers/V20020 
 
Question des frontières et rapport au territoire : discussions http://www.manioc.org/fichiers/V20021 
 
Pour aller plus loin :
 
Michel Foucher, Fronts et frontières : un tour du monde géopolitique. Paris : Fayard 
Michel Foucher, Le retour des frontières. Paris : CNRS éditions 
Régis Debray, Eloge des frontières. Paris : Gallimard
 "The Three Burials of Melquiades Estrada", Tommy Lee Jones (réalisateur), 2005 

CB


Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2021/04/france-bresil-une-frontiere-lepreuve.html

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