mercredi 20 février 2019

Les Villes des Petites Antilles #4 : Kingstown, Saint-George, Port-of-Spain

Dernières escales

L'équipe Manioc a décidé de découvrir les villes des Petites Antilles en exploitant les différents matériaux présents dans Manioc.org. Dans le précédent épisode, Manioc faisait escale à Saint-Pierre, Castries et Bridgetown. Dans ce périple d'îles en îles, nous allons pour finir parcourir Kingstown, Saint-Georges et Port-of-Spain.

Kingstown, capitale de Saint-Vincent-et-les-Grenadines

Vue de Kingstown, capitale de Saint-Vincent
Nous laissons encore une fois parler les voyageurs et leurs impressions. La première  est celle contenue dans l'ouvrage Aux Antilles : hommes et choses de Robert Huchard lorsqu'il arrive à Saint-Vincent. 
Sa description, 
empreinte d'une forme de lassitude, est marquée par une certaine négativité, par un éloge du modèle colonial anglais et par des observations à la limite du racisme. Il est le témoignage de la façon de penser de l'époque (début du XXe siècle, c'est-à-dire, la période de la deuxième colonisation). Son écriture est très riche et colorée de détails, elle nous emporte et nous fait découvrir les subtilités de son voyage aux Antilles, les  parfums, les nuances capables d'être décelés par une âme sensible.

« Vues de la mer, toutes ces villes des Antilles se ressemblent ; mêmes murailles fendillées et jaunes, mêmes toits de tôle, même impression de vétusté au milieu d'un paysage toujours le même, lui aussi, magnifique et monotone, toujours surprenant néanmoins. » p. 74 
« Encore une nuit passée en mer. Encore au matin un surprenant réveil, une terre monte à l'horizon: Saint-Vincent. Les mêmes sommets, les mêmes montagnes, les mêmes sites : ciel, arbres, terrains grandissent, s'avancent. Les hauts cocotiers, à nouveau, font trembler, à l'extrémité de leurs longues tiges, leurs touffes de palmes vertes ; à nouveau aussi accourent des flottilles débarques nègres. L'île de Grenade s'est-elle donc prolongée jusqu'ici? C'est à le croire. Le climat, les types d'habitants, les lignes maîtresses du paysage: on retrouve tout, rien n'a changé.
Toutefois certains bâtiments diffèrent quelque peu à Kingstown de ceux déjà vus dans les autres îles. Ils sont plus hauts, deux, trois étages parfois. Quelques-uns bâtis en pierres noires, en moellons, en briques, offrent une certaine analogie avec les maisons de Fort-de-France. Seraient-ce là les derniers vestiges de l'occupation française? Car Saint Vincent, comme les autres Antilles d'ailleurs, nous appartint pendant un long temps. » p. 76 

PL. XIII Kingstown harbor, St. Vincent, looking west.

Pour enrichir cette première description de Kingstown, tournous-nous vers Henry Nelson Coleridge et son récit de voyage Six months in the West Indies. L'homme avait décidé d'entreprendre un voyage aux Antilles pour chercher dans le climat tropical une possible guérison à ses rhumatismes. Le ton est différent, les considérations personnelles de l’auteur sont partout et souvent, il divague largement sur nombre de frivolités. On est loin des descriptions minutieuses du Père Labat ou de J. Anthony Froude ; malgré tout, il livre un témoignage sur la situation sociale des possessions anglaises des Caraïbes au début du XIXe siècle. On y découvre d'excellentes descriptions de paysages et nombreuses réflexions sur les coutumes appliquées dans les différents îles. Un exemple : l’extrait suivant, tiré du chapitre dédié à Saint-Vincent. On y trouve une description de la ville et de la pratique cruelle réservée aux prisonniers, enchaînés dans les lieux publics, exposés aux regard de tous, chose pourtant interdite dans l'Angleterre du XIXe siècle.
Kingstown lies in a long and narrow line upon the edge of the water; on the eastern end is a substantial and somewhat handsome edifice containing two spacious apartments, wherein the council and Assembly debate in the morning, and the ladies and gentlemen dance in the evening; towards the western extremity is also a substantial and ugly building (…)” p. 101“One thing disgusted me much; I allude to the practice of working runaway, riotous, or convict slaves in chains in the public street of Kingstown.” p. 105




Saint-George, capitale de la Grenade.

Encore quelques mots venant de l'ouvrage d'Henry Nelson Coleridge Six months in the West Indies, cette fois ci pour la ville de Saint-GeorgeIl nous indique dans l'introduction, qu'il a voyagé non seulement dans les Antilles, mais aussi en Europe, et qu'en décrivant la pittoresque Saint-George il à l'impression de se retrouver en Italie. Voir les passages qui suivent... 

“Early the next day we made Grenada, and came into the bay by twelve o'clock.If Trinidad is sublime, Grenada is lovely. I do not know why it should have put me in mind of Madeira, but it did so continually. The harbour is one of the finest in the West Indies, and the hurricanes have not ranged so far(…) The town covers a peninsula which projects into the bay; Fort George stands on the point, the spired church on the isthmus; within is the Carenage full of ships and the wharfs of the merchants surrounding it; beyond it lie three or four beautiful creeks indenting the cane fields, an aqueduct at which the boats water, the mangroves growing out of the sea, the great Lagoon, and Point Salines shooting out a long and broken horn to the south west. Over all, and commanding every thing in the vicinity, tower the Richmond Heights, which are crested with fortifications of prodigious extent, from which the Bocas of Trinidad have been seen on a clear afternoon. The rest of the prospect is delightful; in every direction the eye wanders over richly cultivated valleys with streams of water running through them, orchards of shaddocks and oranges, houses with gardens, negro huts embowered in plantain leaves, mountains and little hills romantically mixed and variegated with verdant coppices of shrubs and trees.” pp.  94-95
Saint George's
“My stay in this island was short, but I was much delighted with all that I saw. Grenada is perhaps the most beautiful of the Antilles, meaning by this that her features are soft and noble without being great and awful. There is an Italian look in the country which is very distinct from the usual character of the intertropical regions, and is peculiar to this colony. (...)
St. George's is a large town and picturesquely placed on a peninsula and the sides of a hill, but the consequence of this situation is that the streets are all so steep that the inhabitants consider it unsafe to use any sort of carriages on them. However they certainly make more of this than is necessary. I would engage to drive a tandem with perfect security from the landing place in the Carenage to Government House.” p. 96
“We left Grenada after dinner on the evening of Friday the 8th of April, passed at some distance to leeward of the long line of islands and islets called Grenadines, which are equally distributed between the two governments of St. Vincent's and Grenada, and after beating up for nearly twenty-four hours in sight of land, came to anchor in Kingstown Bay at five in the morning of Sunday the 10th. The view of the town and surrounding country is thought by many to be the most beautiful thing in the Antilles; it is indeed a delightful prospect, but, according to my taste, not within ken of the surpassing loveliness of the approach to Grenada. Trinidad is South American, but St. George's, the Lagoon, and Point Salines are perfect Italy.” p. 101 

Port-of-Spain, capitale de Trinidad-and-Tobago:

Aujourd’hui cette ville est un des principaux moteurs économiques des West Indies,  autrefois considérée comme une ville exemplaire en termes d’aménagement urbain, comme le témoigne le document suivant des archives de la ville de Fort-de-France :
Rapport [de la] commission municipale chargée d'examiner à Port-of-Spain (Trinidad) le mode de rechargement et d'entretien des rues, le fonctionnement des abattoirs, les services de propreté, des eaux, des pompes funèbres, et en général toutes les méthodes de voirie urbaine, d'assainissement et d'hygiène appliquées et d'examiner le moyen de les adapter à la ville de Fort-de-France. En effet, une commission ad hoc fut constituée par la Ville de Fort-de-France en 1920, pour mener à bien une mission de reconnaissance à Port-of-Spain. L'objectif était d'appréhender comment cette ville, considérée comme  exemplaire dans l'aménagement urbain, faisait face aux problématiques de la ville, telles vécues dans les îles de la Caraïbe. On le voit bien, l'étude comparée n'est pas une nouveauté des temps présents.


« La Commission nommée par le Conseil municipal à l'effet de se transporter à Trinidad (…) composée de :MM. I. Tarquin, 2ème adjoint au Maire, Délégué à la Voirie,O. Mosole, Conseiller Municipal,P. Nays, Agent-Voyer,a laissé la Martinique par le steamer faisant le service intercolonial des Antilles, le 27 février dernier ; elle a débarqué à Port-of-Spain le 29, y a séjourné jusqu'au 14 mars et est rentrée à Fort-de-France le 16 mars.Dès son arrivée dans la Colonie anglaise elle s'est présentée, avec une lettre de recommandation de M. le Gouverneur de la Martinique, à M. le Consul français. Celui-ci lui a remis aussitôt des lettres d'introduction pour M. le Secrétaire Colonial du Gouvernement de Trinidad qui a, lui-même, demandé aux autorités municipales de la localité de favoriser toutes les investigations auxquelles la Commission désirait se livrer. Avec l'obligeant concours de l'Ingénieur municipal et du chef du Service de prophylaxie, les délégués de la Ville de Fort-de-France ont pu procéder au Chef-lieu de la Trinidad et aux environs à toutes les observations ci-dessous développées qui leur ont paru devoir se rattacher à leur mission. » p.1 



St. James avenue, Port-of-Spain, Trinidad
«  ETABLISSEMENT et ENTRETIEN des RUES et CHAUSSÉES. — Sans aucune exagération l'on peut dire que la viabilité urbaine est excellente à Port-of-Spain. Les voies suburbaines, dans le rayon très étendu que nous avons pu visiter, sont dans le même état. L'aspect que présentent les chaussées, surtout celles des rues, est celui d'un glacis bétonné et enduit, de dix à douze mètres de largeur ». p. 1. 


« PROPRETÉ. — ENLÈVEMENT des IMMONDICES 
La propreté de Port-of-Spain fait l'admiration de ses visiteurs. Elle est poussée aux limites du possible. A toute heure du jour, l'étranger ressent la même impression favorable en parcourant les rues : celle d'une ville toujours parée sans que l'on se rende compte de l'heure à laquelle s'effectue sa toilette. C'est que le balayage des chaussées se fait de nuit, entre une et quatre heures du matin, que l'enlèvement des ordures ménagères commence à partir de 5 heures et se poursuit simultanément par une trentaine de grandes charrettes. L'atelier préposé seulement au balayage comprend cent vingt unités. Enfin Port-of-Spain possède un réseau d'égoûts desservant la plus grande partie, de la Ville. Les eaux usées et les vidanges des maisons vont à l'égoût. Pour les quartiers non munis d'égoùt l'installation d'un châlet de nécessité, dans la cour de l'immeuble, est obligatoire. Le service est assuré par la voirie qui procède sans transvasement ; à l'aide d'une pompe, les récipients, en béton armé, de ces châlets, (coquets pavillons bien aérés et ventilés) sont vidés, puis lavés et désinfectés : les matières sont recueillies dans des tonneaux à fermeture hermétique (couvercles à vis) et rendues à une bouche d’égout dans le voisinage de l'usine qui les refoule en mer». 
La propreté de Port-of-Spain fait l'admiration de ses visiteurs. Elle est poussée aux limites du possible. A toute heure du jour, l'étranger ressent la même impression favorable en parcourant les rues : celle d'une ville toujours parée sans que l'on se rende compte de l'heure à laquelle s'effectue sa toilette. C'est que le balayage des chaussées se fait de nuit, entre une et quatre heures du matin, que l'enlèvement des ordures ménagères commence à partir de 5 heures et se poursuit simultanément par une trentaine de grandes charrettes. L'atelier préposé seulement au balayage comprend cent vingt unités. Enfin Port-of-Spain possède un réseau d'égoûts desservant la plus grande partie, de la Ville. Les eaux usées et les vidanges des maisons vont à l'égoût. Pour les quartiers non munis d'égoùt l'installation d'un châlet de nécessité, dans la cour de l'immeuble, est obligatoire. Le service est assuré par la voirie qui procède sans transvasement ; à l'aide d'une pompe, les récipients, en béton armé, de ces châlets, (coquets pavillons bien aérés et ventilés) sont vidés, puis lavés et désinfectés : les matières sont recueillies dans des tonneaux à fermeture hermétique (couvercles à vis) et rendues à une bouche d’égout dans le voisinage de l'usine qui les refoule en mer». La propreté de Port-of-Spain fait l'admiration de ses visiteurs. Elle est poussée aux limites du possible. A toute heure du jour, l'étranger ressent la même impression favorable en parcourant les rues : celle d'une ville toujours parée sans que l'on se rende compte de l'heure à laquelle s'effectue sa toilette. C'est que le balayage des chaussées se fait de nuit, entre une et quatre heures du matin, que l'enlèvement des ordures ménagères commence à partir de 5 heures et se poursuit simultanément par une trentaine de grandes charrettes. L'atelier préposé seulement au balayage comprend cent vingt unités. Enfin Port-of-Spain possède un réseau d'égoûts desservant la plus grande partie, de la Ville. Les eaux usées et les vidanges des maisons vont à l'égoût. Pour les quartiers non munis d'égoùt l'installation d'un châlet de nécessité, dans la cour de l'immeuble, est obligatoire. Le service est assuré par la voirie qui procède sans transvasement ; à l'aide d'une pompe, les récipients, en béton armé, de ces châlets, (coquets pavillons bien aérés et ventilés) sont vidés, puis lavés et désinfectés : les matières sont recueillies dans des tonneaux à fermeture hermétique (couvercles à vis) et rendues à une bouche d’égout dans le voisinage de l'usine qui les refoule en mer». pp. 4 et 5.Le mode de vidanges est sans contredit la plaie de notre ville ; il a été et est souvent très sévèrement critiqué par nos visiteurs. A la vérité, tandis qu'en France, dans les colonies anglaises voisines, dans le monde entier, les progrès de l'hygiène et de l'assainissement se sont réalisés dans des villes beaucoup moins importantes que la nôtre, nous avons, au contraire, sinon régressé du moins marqué le pas. » p. 7 L'intensité de l'éclairage public n'est pas, proportionnellement, moindre à Fort-de-France qu'à Port-of-Spain ; mais en revanche l'éclairage électrique privé est beaucoup plus développé dans celte dernière ville dont la Compagnie de l'électricité possède une usine, d'une puissance considérable, qui fournit non seulement la lumière publique et privée mais aussi la torce motrice nécessaire à l'exploitation d'une ligne de tramways électriques desservant Port-of-Spain et ses environs. Le nombre de voitures omnibus circulant simultanément est de vingt-quatre réparties sur quatre lignes. L'usine est actionnée par des générateurs à vapeur ».p.  12
« VIDANGES 
Le mode de vidanges est sans contredit la plaie de notre ville ; il a été et est souvent très sévèrement critiqué par nos visiteurs. A la vérité, tandis qu'en France, dans les colonies anglaises voisines, dans le monde entier, les progrès de l'hygiène et de l'assainissement se sont réalisés dans des villes beaucoup moins importantes que la nôtre, nous avons, au contraire, sinon régressé du moins marqué le pas ». p. 7
 « SERVICE des EAUX
Ce qui fait la caractéristique du service des eaux de Port-of-Spain c'est sa réglementation… La réglementation du service des eaux permet à la population d'en avoir en tout temps. Elle consiste surtout dans la répression du gaspillage. Il est formellement interdit, sous peine d'amendes, de laisser ouvert le robinet de puisage en dehors des besoins ; la consommation particulière est ainsi réduite au minimum. Les abonnements sont proportionnels pour les maisons d'habitation ordinaires ; ils sont de quatre pour cent (4 o/o,) de la valeur locative brute. Dans les établissements le compteur est exigible. Il nous manque, certes, à Fort-de-France, une réglementation des eaux. Le débit de notre eau d'alimentation pourrait largement suffire à tous les besoins si un réglage convenable était opéré et si surtout il était mis un frein à la dépense plus qu'excessive des concessionnaires de la route de Didier ». p. 1
« ECLAIRAGE ÉLECTRIQUE  
L'intensité de l'éclairage public n'est pas, proportionnellement, moindre à Fort-de-France qu'à Port-of-Spain ; mais en revanche l'éclairage électrique privé est beaucoup plus développé dans celte dernière ville dont la Compagnie de l'électricité possède une usine, d'une puissance considérable, qui fournit non seulement la lumière publique et privée mais aussi la torce motrice nécessaire à l'exploitation d'une ligne de tramways électriques desservant Port-of-Spain et ses environs. Le nombre de voitures omnibus circulant simultanément est de vingt-quatre réparties sur quatre lignes. L'usine est actionnée par des générateurs à vapeur ». p. 12

Port of Spain, capitale de la Trinidad


« CONCLUSIONS L'impression générale que la mission rapporte de Port-of-Spain est en tous points excellente. Au point de vue matériel : une grande et belle ville, active, bâtie dans des conditions hygiéniques des plus favorables avec des maisons spacieuses, hautes de plafond dont beaucoup entre cour et jardin. Des voies de communication larges, solides, bien entretenues, d'une propreté admirable ; les établissements publics installés avec le maximum de confort ; les moyens de locomotions nombreux et faciles, (lignes de tramways électriques, divers établissements de location de voitures et automobiles) contrôlés et tarifés d'ailleurs par les autorités municipales pour la sauvegarde des intérêts du public qu'elles n'ont pas voulu laisser livrés à l'arbitraire des intérêts privés. En un mot, ville de progrès moderne ». pp. 14-15


Comme nous l'avons annoncé, Port-of-Spain était la dernière étape du voyage. Nous espérons que cette incursion dans les villes de la Caraïbe à travers différents siècles a su capter votre attention.

Livres anciens sur Manioc :

-Aux Antilles : hommes et choses, Huchard, Robert, Paris : Librairie Académique D. Perrin. 1906, Récit journalier d'un voyage effectué aux Antilles au début du 20e siècle, rythmé par les petites anecdotes vécues par l'auteur et ponctué de commentaires.

-Six months in the West Indies, in 1825, Coleridge, Henry Nelson (1798-1843), 1832.


Lien vers l'article : http://blog.manioc.org/2019/02/les-villes-des-petites-antilles-4.html

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